Joao Miguel, Fabiula Nascimento, Carlo Briani, Babu Santana
Après avoir vu « Estomago », on n’oubliera plus d’avoir toujours sous la main un peu de romarin pour rehausser de saveur les plats qui en manquent.
De saveur, il en est beaucoup question dans ce premier film prometteur d’un jeune réalisateur brésilien Joao Miguel qui en prenant comme prétexte scénaristique les aventures d’un cuisinier amoureux élargit le menu à des préoccupations autres que culinaires.
En choisissant de parler de nourriture, il ouvre le grand livre de la vie et des rapports que les humains nouent avec l’amour, le sexe, la jalousie, la volonté de puissance, l’orgueil et le désir de ne pas occuper, sur l’échelle hiérarchique, le dernier échelon.
Cuisiner est un art, une philosophie dont les enjeux sont dans « Estomago » aussi tendus que ceux qui lient le Maître et de l’Esclave dans la théorie hégélienne.
Raimondo Nonato est garçon un peu niais. Il débarque de son village à la ville avec en poche un don : celui de savoir accommoder les ingrédients pour en faire des plats succulents. Que fera-t-il de son talent ?
Bâtie de façon complexe, alternant deux unités de lieu - une cuisine et une cellule de prison - entre lesquelles la caméra opère des glissements bien huilés, cette histoire parle de plaisir.
Celui de faire bonne chair et celui de la sensualité. Deux gourmandises qui, lorsqu’elles deviennent indissociables, créent chez Raimondo un vertige que le spectateur anticipe avec angoisse et regret parce qu’il s’est pris de sympathie pour ce jeune homme dont le regard tendre et candide rappelle celui Massimo Troisi dans « Il postino » de Michael Radford.
Le cinéma s’est souvent intéressé à la gastronomie. Dans son intéressant documentaire « Le cinéma passe à table » (*), Anne Andreu décortique, à partir de scènes de choix (**), en quoi l’acte de manger renvoie à quelque chose d’inquiétant.
Marcos Jorge continue la démonstration en révélant chez l’individu une animalité qui frustrée peut devenir féroce.
Chronique gastronomique sans doute mais surtout œuvre curieuse sur un Rastignac en devenir et métaphorique d’un monde, le nôtre, dans lequel pour gagner il faut que les autres perdent « Estomago » séduit et questionne.
La vie derrière les fourneaux est-elle toujours aussi ardente ?
« Estomago » a été gavé de prix lors du festival international 2007 de Rio de Janeiro : prix du public, prix de la meilleure interprétation masculine et prix du meilleur réalisateur. (m.c.a)
(*) Rediffusé sur Arte ce dimanche 6 juillet 2008
(**) Extraits de « La grande bouffe » de Marco Ferreri, « Festen » de Thomas Vinterberg, « Le festin de Babette » de Gabriel Axel, « Que la bête meure » de Claude Chabrol, l’impénitent gourmand…