Isabelle le Carré, Benoît Poelvoorde
C’est vrai que c’est beau une ville la nuit.
Est-ce parce que l’obscurité efface, même si ce n’est que momentanément, les défauts que l’œil saisit en plein jour ?
Est-ce parce que les lumières de la nuit donnent aux choses un autre éclairage et permettent ainsi de s’autoriser des sentiments, des sensations que la raison diurne refuserait de reconnaître ?
En tout cas, dans « Entre ses mains » la ville de Lille, dans laquelle déambulent Claire et Laurent est magnifiquement mise en valeur, sorte d’écrin scintillant à leurs promenades dont les étapes (un bar à karaoké, une boîte de nuit, une chambre) vont amener Claire à comprendre que l’homme par lequel elle est attirée est un personnage étrange, sombre, et qui se révèle peu à peu inquiétant.
Elle l’a rencontré lors d’une déclaration de sinistre qu’elle a reçue en tant qu’employée dans une compagnie d’assurance. Compétente et zélée, elle ne sait pas qu’il y a des sinistres pour lesquels aucune réparation des dégâts n’est possible.
Il l’a gentiment draguée et elle s’est mise, en proportion parallèle à l’ennui inhérent à la vie qu’elle mène entre un mari gentil et une petite fille tout aussi gentille, à s’intéresser à lui.
Et à-travers lui à se redécouvrir capable de séduire et d’être séduite.
Je ne sais pas si Claire se met à aimer Laurent, en tout cas elle commence à sortir de sa ternitude et à retrouver avec le désir un lien qu’elle avait perdu depuis longtemps.
Comme souvent chez Fontaine le désir ne se décline pas avec bonheur.
Il rime plutôt avec plaisir mais un plaisir tragique, plombé de frustrations et de secrets.
Dans la région sévit un serial killer et peu à peu Claire se met à soupçonner Laurent.
Fontaine est une cinéaste intelligente, elle va semer la route de son film d’indices porteurs du malaise du héros : la mère avec laquelle il vit et travaille, les insomnies qui l’assaillent, l’alcool dont il abuse immodérément et surtout la lionne qu’il opère d’un kyste.
Opération de routine sans doute pour le vétérinaire qu’il est mais qui, dans le contexte de criminalité perverse qui enserre l’histoire, revêt une dimension symbolique : celle d’enlever ce qui enkyste sa vie à savoir la pulsion criminogène qui le traverse et à laquelle il ne sait pas résister.
Et c’est alors que le titre du film prend tout son ampleur signifiante : « entre ses mains ».
Lors de situations extrêmes au cours desquels les personnages se sentent perdus ou se rendent compte qu’une situation leur échappe ils s’en remettent, par une prière à consonance autant biblique que laïque, « entre les mains » de qui est plus puissant qu’eux.
Comme Laurent le fait avec Anne, entre les mains de laquelle il se remet espérant y trouver un peu de paix, de compréhension et de tendresse.
Le film aurait peut-être gagné à être étayé par un scénario moins appliqué mais ne boudons pas notre plaisir à voir des acteurs dont les jeux s’accordent par effet de contrastes intelligemment interprétés.
Poelvoorde, pour crédibiliser son personnage, abandonne les saccades kinétiques auxquels il s’était accoutumé pour renouer avec le talent et la sobriété qu’il nous avait déjà montrés dans « Les convoyeurs attendent ».
Isabelle Carré, sans avoir l’air d’y toucher, laisse affleurer les troubles qui peuvent se cacher sous une apparence de normalité et de transparence.
Et elle apporte ainsi à ce film un petit je ne sais quoi qui, avec une once d’audace supplémentaire de la part de la réalisatrice, aurait pu devenir une inquiétante variation de la dangerosité inhérente à la relation amoureuse. (m.c.a)