Anna Castillo, Javier Gutiérrez, Pep Ambrò
Alma (Anna Castillo), une jeune femme d’une vingtaine d’années, vit à Canet dans la région de Castellón en Espagne, pays qui, depuis huit ans, doit faire face une cruelle récession. Elle travaille dans l’exploitation agricole familiale qui, industrialisation oblige, élève des milliers poulets à la chaîne. Depuis que son père et son oncle ont déraciné et vendu pour quelques milliers d’euros un olivier bimillénaire, son grand-père dépérit à vue d’œil. Ce patriarche respecté, qui fut à la tête d’une oliveraie jadis prospère, est désormais devenu l’ombre de lui-même. Emmuré dans un mutisme total, absent du monde, il refuse de s’alimenter et semble bien décidé à quitter la surface des choses. Persuadée que si elle parvient à retrouver et à ramener cet arbre sacré sur sa terre natale, son grand-père adoré recouvrera santé et joie de vivre, Alma décide d’entamer un périple à travers l’Europe, qui la conduira jusqu’à Düsseldorf.
Conte moderne et intergénérationnel, qui prend des allures de road movie, El Olivo met en scène une véritable passionaria, débordante d’énergie, farouchement obstinée, prête à tout pour atteindre l’objet de sa quête. Alma, c’est aussi le symbole vivant, d’une génération, qui renouant avec un sens élevé de l’idéal et de l’éthique, ne redoute pas de s’opposer au modèle dominant et d’initier un contre-mouvement. Fidèle aux valeurs que son grand-père lui a transmises, Alma véhicule ainsi l’idéalisme d’une jeunesse, consciente de l’héritage de ses aïeuls et mue par le désir de (re)vivre dans un monde où l’homme sera de nouveau capable de respecter l’environnement dans lequel il a pris racine et duquel il n’est au fond qu’une infime parcelle. Et c’est ainsi qu’à travers cette histoire touchante et drôle, que l’on doit à Paul Laverty (fidèle scénariste de Ken Loach), se profile la dénonciation d’un système économique hypocrite et pervers qui, s’il n’a pas encore atteint son point de non-retour, semble bien en phase critique. On ne s’étonnera dès lors pas de voir, dans une scène drôlissime, une statue de la liberté se faire déboulonner de son socle de plâtre et être réduite en miettes à coup de massue. De même, égratignant au passage une Europe où les disparités économiques sont encore légion, El Olivo ne se prive pas non plus pour tourner gentiment en dérision les stéréotypes culturels qui différencient, entre autres, l’Espagne et l’Allemagne. Cependant, si le personnage d’Alma fait parfois sourire par sa naïveté, le couple Bollaín – Laverty n’a pas succombé à la facilité en nous faisant miroiter la victoire de David contre Goliath.
Par ailleurs, comment ne pas être interpellé par la richesse métaphorique que véhicule l’Arbre, lequel constitue l’un des symboles les plus riches et les plus répandus toutes croyances et toutes cultures confondues ? Véritable emblème du cosmos vivant en perpétuelle régénérescence, qui s’ouvre à l’immensité du ciel tout en croissant dans l’obscurité de la terre, l’arbre est ici aussi le miroir d’une généalogie familiale à la fois simple et complexe, pétrie d’une part par la tendresse mais aussi marquée d’autre part par des ruptures et des drames. Les relations de profonde affection qui unissent Alma et son grand-père ont en effet été durablement cultivées dans un sol fertilisé par le terreau de la patience et de l’amour, et émouvront sans nul doute tous ceux qui ont (eu) la chance d’être lié aussi intimement avec leur aïeul. A contrario, les rapports père-fils et père-fille ont été parfois émondés si ce n’est violemment élagués, et dans cette perspective, El Olivo ne sacrifie rien au réalisme social.
Enfin, quoi de plus symbolique qu’un olivier, arbre qui, dans la Grèce antique, était consacré à Athéna, déesse de la sagesse, pour nous transmettre un message d’espoir, de force, de victoire et de paix ?
(Christie Huysmans)