Fantastique
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EL LABERINTO DEL FAUNO

Guillermo Del Toro (Espagne/Mexique 2006 - distributeur: Paradiso Filmed Entertainment)

Sergi Lopez, Maribel Verdu, Ivana Baquero

112 min.
22 novembre 2006
EL LABERINTO DEL FAUNO

Existe-t-il des limites imaginatives à l’espace intérieur propre à chacun et plus particulièrement lorsqu’il est à ce moment charnière de sa croissance pubertaire qui le pousse dans un monde où les fées rencontrent les faunes ?

Cette question, récurrente, del Toro se la pose depuis son premier film « Chronos » (1993) étonnante transposition, déjà peuplée de monstres à forme animalière, du mythe de Faust.

Métaphores et symboles sont les figures privilégiées de ce cinéma dont l’événementiel (ou conscient) sert de ligne claire à un essentiel (ou inconscient) remarquablement plus riche et plus complexe.

Continuant son exploration de l’Espagne franquiste (« L’échine du diable »), « El laberinto » décrit la traque menée en 1944, loin des remous du second conflit mondial, par le capitaine Vidal contre les derniers opposants au fascisme ibérique qui se cachent dans les montagnes. Sa femme et sa belle-fille, Ofelia, viennent le rejoindre.

Ofelia, à la fois proche et lointaine déclinaison de la figure matricielle de Lewis Caroll, est une presque adolescente dont l’imaginaire féconde la résistance à une réalité oppressante : la mort redoutée d’une mère aimée (image d’une Espagne pré-franquiste) qui la laissera face à un beau-père pressenti comme redoutable et redouté.

Scandé par la respiration apeurée de son héroïne, le film se déplie sur deux niveaux qui sont parfois morbidement reflets l’un de l’autre. A l’air libre un tortionnaire, Sergi Lopez dont la barbarie aurait gagné à être moins grand guignolesquement exprimée, sous la terre un labyrinthe peuplé de créatures intemporelles et fantastiques, échos d’une culture ibérique prolixe en hallucinations gores - tel cet ogre qui rappelle le Saturne de Goya dévorant ses enfants - ou exaltées comme chez Dali.

La prouesse de Del Toro est d’avoir suturé à petits points précis et efficaces les plans souterrains et terrestres de sa narration. Son inattendu est de réduire, au fil du récit, le degré des horreurs perpétrées dedans ou hors du labyrinthe asphyxiant peu à peu le spectateur sous une avalanche d’images sombres violentes sur lesquelles soufflent l’âme tourmentée et douloureuse de Bunuel.

Il y a du Lovecraft (*) dans ce déchaînement de moments où l’univers de la réalité se dérobe, avalé par celui du conte qui n’est pas nécessairement plus serein mais qui a l’avantage de restituer à celui qui s’y aventure la capacité qui lui fait défaut dans l’espace réel : le choix ou le libre arbitre grâce auquel il va retrouver son innocence. Cette innocence plus forte que le mal et emblématique du désir politique sous tendu par le film-fable : que la démocratie soit plus forte que le totalitarisme. (m.c.a)

(*) notamment celui de « Providence » mis en scène par Resnais et dans lequel se superposent deux niveaux de récit également perturbants.