Drame social
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

EL CUSTODIO

Rodrigo Moreno (Argentine/France/Allemagne 2006 - distributeur : ABC)

Julio Chavez, Osmar Nunez, Christina Villamor

93 min.
25 avril 2007
EL CUSTODIO

Loin des « Instructions aux domestiques » de Jonathan Swift - celui-là même qui a fait voyager Gulliver - qui dévoilent, avec un réjouissant humour, la lâcheté des valets et la duplicité de leur maître, « El custodio » souligne, grâce à un positionnement de caméra atone et délibérement abstrait, le changement radical de la place occupée par l’homme dans le monde en ce début du XXIème siècle.

On n’est plus dans la civilisation des Lumières qui accordait aux notions de liberté et de bonheur une place de choix, on est dans une civilisation irréductiblement coupée en deux, celle d’en-bas, faite des obscurs et des sans-grades et celle d’en-haut confinée dans son univers de pouvoir et de suffisance. Même s’il n’en avait pas l’intention consciente, par le regard d’une rare noirceur qu’il porte sur la décadence des hautes sphères de l’Etat, Rodrigo Moreno donne à son film une couleur politique.

Ruben est garde du corps. Il a pour mission de suivre, ombre silencieuse et consciencieuse, un ministre aux yeux desquels il n’existe pas.

Film lent et impassible, « El Custodio » repose sur les épaules d’un acteur magistral, Julio Chavez (*) qui arrive à donner corps à une invisible mais non insensible dépossession de soi.

Plus il est présent à ce qu’il fait (inspecter les couloirs, scruter la route, attendre que les portes s’ouvrent et se ferment, …) plus il devient absent à lui-même. Entrant peu à peu dans cette zone de no man’s land de l’âme où l’on se sent devenir étranger à soi, aux autres, et au monde dans lequel on évolue.

Il y a dans ce film contemplatif et réservé le poids d’un drame : celui de l’effacement d’un homme à être aux commandes de son destin. Celui d’une entrée dans une passivité dont on se doute que l’issue ne pourra être que radicale.

Garde du corps, il est amené à s’occuper du sien avec ce souci obsessionnel du dépressif qui trouve dans le rituel de sa toilette ou de son habillement l’ultime rempart contre la chute dans un néant annoncé.

« El custodio » capture et captive l’attention. Jusqu’où est-il possible à être humain de vivre décentré de lui-même ?

Chacun a au moins une raison et une réponse à la déréliction qui l’étreint. John Travolta dans « La fièvre du samedi soir » avait l’abrutissement professionnel et le disco pour s’en divertir, Marcello Mastroianni dans « L’étranger » avait en écho, à l’absurdité des choses, son indifférence.
Et Ruben dont on ne saisira un pan de son intimité qu’à travers son intérêt pour le dessin ?

Film de souffrance, de silences mais aussi de rage. De celle, la plus dangereuse, qui consume de l’intérieur le besoin, pour exister, de porter sur soi et sur le monde un regard qui soit vivant . (m.c.a)

(*) déjà remarquable dans « Extrano » de Santiago Loza