Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Rooney Mara, Jack Black
Tiré de l’autobiographie éponyme de John Callahan écrite en 1989, le dernier film de Gus Van Sant, sélectionné en compétition officielle à la 68ème Berlinale, retrace une partie du parcours du célèbre cartooniste américain décédé en juillet 2010. En ne s’inspirant que d’un seul chapitre du livre (allant de l’accident de voiture qui le rendit quadraplégique à ses premiers succès), Gus Van Sant a délibérément choisi de concentrer son sujet sur le combat mené par son protagoniste pour sortir de sa dépendance à l’alcool ainsi que sur le rôle déterminant qu’a joué dans sa renaissance la révélation de son talent artistique. Car, même après avoir frôlé la mort dans l’accident dramatique qui faisait suite à une soirée de beuverie avec son ami Dexter (Jack Black), Jonh (Joaquin Phoenix) n’avait toujours pas la moindre intention de s’arrêter de boire. Heureusement, soutenu par sa compagne (Rooney Mara), il finit pourtant par entamer une cure de désintoxication sous la houlette bien éclairée de Donnie (Jonah Hill), mentor charismatique à l’esprit " new Age ". Personnage clé dans le film et dans la vie de Callahan, cet homme à l’allure christique se révèle capable de souffler le chaud et le froid simultanément : disponible et compréhensif à l’égard de la souffrance endurée par son protégé, Donnie ne lui lâche toutefois jamais la bride lorsque celui-ci fait mine de s’apitoyer sur sort ou tente de justifier son addiction en avançant comme prétextes des raisons socio-familiales.
L’idée de porter à l’écran la vie de John Callahan qu’il connaissait depuis les années 80, trottait déjà dans la tête de Gus Van Sant depuis de nombreuses années. Elle lui avait été soufflée par Robin Williams, acteur qu’il connaissait bien pour l’avoir dirigé dans Good Will Hunting, et qui, dès 1994, avait acheté les droits d’adaptation. À l’époque, le comédien rêvait d’incarner le personnage de Callahan ; un désir motivé par l’envie de rendre hommage à son ami Christopher Reeves, paralysé suite à un accident d’équitation. Entre le milieu des années 90 et le début des années 2000, le cinéaste américain s’associa donc à plusieurs coscénaristes en vue d’adapter le livre. De nombreux brouillons de scénario furent mis sur la table mais le projet ne vit jamais le jour. " Je crois qu’à l’époque, les studios n’étaient pas prêts à embrasser le projet tel qu’il avait été développé souligne Van Sant. Toujours est-il que durant tout ce laps de temps, nous avons été fréquemment en contact avec John, ce qui nous a permis d’en apprendre encore davantage sur lui et sur sa vie ", remarque-t-il. Après la mort de Williams en 2014, le réalisateur décida de changer son fusil d’épaule, en revenant au plus près du matériau brut que constituait l’autobiographie écrite par Callahan. Lors de ses précédentes tentatives d’écriture, Gus Van Sant avait en effet pris le parti de prendre beaucoup de liberté par rapport au livre et le scénario était devenu quelque peu farfelu, une option, qui, de l’avis du cinéaste, avait probablement été influencée par le fait que Robin Williams était censé incarner le rôle de John.
Au final, Gus van Sant nous livre une vision plus resserrée de la vie du dessinateur, enrichie de la connaissance intime qu’il a pu développer de son protagoniste en le côtoyant personnellement. Même si l’approche développée dans He won’t get far on foot demeure globalement conventionnelle, on relèvera toutefois l’absence de linéarité narrative lors des premières minutes du film, qui, à travers des images kaléidoscopiques, nous met en présence de la fantasque chorale d’alcooliques anonymes orchestrée de main de maître par Donnie, original " gourou " aussi bienveillant qu’inflexible. Méritent également d’être soulignées l’option retenue au montage avec son défilé d’images à l’horizontal pour introduire les flashbacks ainsi que l’intrusion animée des planches du dessinateur qui illustrent autant la vie de Callahan que son talent et la puissance curative de l’art dans sa rédemption. Ironie du sort, on notera que l’accident tragique dont il fut victime fait figure de " blessing in disguise " dans son chemin de vie tout autant que la révélation de son don (vécue alors comme une épiphanie) lui servit de planche de salut… et le mena très loin.
La tonalité tragi-comique du film nous épargne tout pathos inutile, évitant ainsi avec bonheur une sensiblerie larmoyante qui n’aurait guère rendu justice à la personnalité de l’homme qu’il entend mettre à l’honneur. L’humour est à l’image de son héros : insolent, impertinent, politiquement incorrect, parfois sarcastique et mordant, et non dénué d’autodérision. Enfin, si la performance de Joaquin Phoenix, qui incarne admirablement le cartooniste, est incontestablement remarquable, la prestation de Jonah Hill mérite elle aussi d’être amplement saluée par sa touchante sensibilité.
Christie Huysmans