Juliette Binoche, Jeanne Moreau, Liron levo
Les titres sont aux films de bien étranges choses.
Ils leur sont indispensables parce sans eux pas d’identification, référencement ou recommandation possibles.
Et en même temps, ils en sont la partie la plus volatile. Celle qu’on oublie plus vite et plus souvent que l’histoire et le nom des acteurs.
Pour qu’ils restent dans la mémoire, il ne faut pas les négliger.
Mais veiller à leur puissance évocatrice et rémanente avec le même soin que celui apporté aux images pour qu’ils subsistent bien au-delà de la satisfaction de la pulsion scopique.
Avec « Desengagement », Amos Gitai réussit le bingo. Parce que son titre colle au plus près de l’objet même de la narration - l’évacuation ou le désengagement de la bande de Gaza des colonies israéliennes.
Fidèle à l’esprit de ses œuvres précédentes qui retracent l’Histoire de son pays à travers des documentaires (*) ou de la fiction, le réalisateur choisit ici de s’intéresser au plan lancé par Ariel Sharon en 2004 : retirer des territoires occupés, manu militari s’il le faut, les familles juives qui y étaient implantées.
Film témoin, reflet de l’engagement personnel du cinéaste de garder trace de ce qui constitue la réalité de son pays, « Desengagement » est conçu comme un dyptique.
Une fresque à deux tableaux dont le premier, inutilement long, décousu et abstrait, se passe en France autour de la dépouille d’un père à la fois aimé et remis en question.
Après l’enterrement, Ana (une Juliette Binoche très impliquée) et son frère adoptif Uli (Liron Levo qui apporte à tous les films de Gitai sa présence dense et convaincante) partent en Israël.
Lui pour participer en tant que policier-militaire au retrait politiquement programmé, elle pour faire face à un secret qui la culpabilise autant qu’il l’hystérise.
Ce n’est qu’une fois sur sa terre natale que le cinéma de Gitai retrouve toutes ses promesses : porter sur les événements un regard teinté d’humanité et garder vis-à-vis de ceux-ci une distance qui empêche les hâtives prises de position ou les débordements en tous genres tout en faisant prendre conscience de l’immense foutoir de la situation des territoires occupés.
Foutoir qui fait rimer désengagement et déchirement, désarroi et colère, incongruité - Ana qui traverse dans une synagogue la rangée réservée aux hommes - et désespoir.
Invitation à la réflexion, « Desengagement » commence par une emblématique rencontre dans un train d’un homme et d’une femme, un juif et une palestienne.
Et se poursuit par le poème « L’adieu » du chant de la terre de Malher en idéal métaphorique à cette impossible alliance entre les notions d’implantation et désimplantation (*), fondatrices du conflit au Moyen-Orient.
C’est par un recours fréquent à la technique du plan-séquence (**) que Gitai révèle, grâce à l’étirement du temps qu’elle permet, toute la complexité de son propos et aborde un « sujet qui fâche » sans lui imposer de vision unilatérale et dès lors forcément caricaturale.
Cette liberté de retranscrire des événements dans leurs dimensions sociale et géopolitique autorise d’inclure au cœur de ceux-ci un début de discours différent.
Plus individuel, plus porteur d’espoir ( ?) : celui d’une famille - celle d’Anna - en train se reconstruire alors qu’autour d’elle des pans de vie s’écroulent.
Gaza, terre de tous les drames mais aussi de tous les possibles - Anna y retrouve sa fille dont elle est séparée depuis de longues années.
Gitai n’a pas la prétention de suggérer une issue à ses énergies contradictoires, il en souligne juste les déséquilibres. Ce qui donne au film sa force et sa douleur. (m.c.a)
(*) Eran Riklis dans son interpellant « Lemon tree » abordait, lui aussi et à travers un procès l’enroulement disruptif et dès lors conflictuel des notions d’enracinement et de déracinement.
(**) Le plus poignant de ces plans dont Gitai a le secret est celui qui ouvre son film "Free zone" : les larmes de Natalie Portman devant le mur des lamentations pendant que le spectateur entend une chanson rythmée autour des liens qui soudent victime et bourreau si aucune main n’intervient pour les dénouer. La scène, l’actrice et le chant en hébreu y sont magnifiques. Les paroles valent la peine d’être lues dans leur traduction anglaise.