Drame intimiste
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Coup de coeurDE BON MATIN

Jean-Marc Moutout (France 2011)

Valérie Dréville, Jean-Pierre Darroussin, Xavier Beauvois, Yannick Renier

26 octobre 2011
DE BON MATIN

Que fait-on habituellement de bon matin ? Des câlins, un jogging, une crise d’angor, un petit déjeuner copieux ou pris sur le pouce ?

Paul Wertret choisit, lui, avant de se rendre sur son lieu de travail, la BICF (*) de faire sa toilette.

Toilette à laquelle il accorde tous ses soins afin de n’oublier, comme dans la scène introductive de « The company men » de John Wells, aucun des oripeaux qui font le cadre zélé et consciencieux : la cravate, la chemise blanche, les chaussures cirées et l’attaché case de cuir noir.

C’est dans cet impeccable uniforme de « salarié-prisonnier » qu’il abattra, dès son arrivée au bureau, deux de ses supérieurs. 2 meurtres délibérés, perpétrés sans état d’âme.

Cette âme que de toute façon le monde du travail lui a ravie, avec autant d’ impudence que d’impunité.

Le but du réalisateur en présentant d’emblée ces actes criminels est évident : délivrer le spectateur d’une tension puisqu’il est immédiatement confronté au pire et lui permettre dès lors d’accorder toute son attention (son empathie ?) aux raisons de ce double geste aussi désespéré que prémédité.

Ce qui fait la force « de bon matin » c’est moins son argumentaire de fond, il existe tant de documentaires et de reportages sur la vie des cadres en entreprise, que la façon de l’exposer et de le traiter.

Avec une distance et un calme qui ne font que rehausser la colère rentrée d’un réalisateur dont la première œuvre « Violence des échanges en milieu tempéré » avait déjà pour thème l’âpreté et la déshumanisation des rapports entre collègues de travail.

Sans illusion sur un monde professionnel livré à ceux qui ont le bon diplôme (HEC, ENA…) et/ou le bon réseau, avec un sens quasi clinique (et donc efficace) de la description au quotidien d’une vie vidée peu à peu de ses responsabilités et de ses pouvoirs de contrôle sur les tâches à accomplir, « De bon matin » est à la fois défensif parce qu’il est à l’écoute de ceux que la nécessité de productivité, ce nouveau Dieu des délégués commerciaux, blesse et aliène lentement mais sûrement.

Et à la fois offensif parce qu’il est un réquisitoire contre les pressions sans cesse croissantes qui pèsent sur les travailleurs qui ne veulent pas être mis sur la touche.

Le regard de Jean-Marc Moutout est politique et social mais il est aussi moral et existentiel. Faisant de Paul Wertet un exemple de la crise dans laquelle s’enlise celui qui se demande si la vie qu’il mène est bien celle qu’il souhaitait.

Question dangereuse qui va émotionnellement plus loin que la simple remise en cause du libéralisme dans lequel nous évoluons, gavés peut-être mais rarement heureux.

Il y a dans « De bon matin » quelque chose qui rappelle la cruauté feutrée d’ « Une étrange affaire » de Pierre Granier-Deferre ou encore le cynisme (f)rigide d’ « El metodo » de Marcelo Pineyro.

Il y a surtout une détresse rampante, incarnée par un Jean-Pierre Darroussin (**) émouvant à force de volonté de tenir bon, à laquelle aucune échappatoire n’est proposée. (mca)

(*) Banque internationale de Commerce et de Financement

(**) Déjà habitué, depuis "Rien de personnel" de Mathias Gokalp au concept d’employé-pion sur l’échiquier de l’entreprise soucieuse avant tout de profit.