Luisa Williams
Elle est plutôt jolie, elle a une voix douce et polie, elle est à cet âge tendre où quand les jeunes filles se font belles c’est pour aller danser.
Elle, dont on ne connaîtra pas le prénom, se prépare à devenir une bombe humaine.
"Day night…" est un film effrayant, non pas par ses scènes violentes - il n’y a aucune image de passage à l’acte - mais par la tension constamment âpre et intense qui le veine d’une souterraine virulence.
Présenté sous la forme d’un diptyque, « Day night… » décrit dans une première partie, organique et fonctionnelle, les préparatifs d’un dépouillement dont la logique scansion (le bain purificateur, la vêture, la prière …) l’apparente à n’importe quelle cérémonie rituelle ou religieuse. Il y a de l’Iphigénie en Tauride d’Euripide dans cette jeune fille que l’on prépare, avec son consentement proche d’une certaine inconscience, pour le sacrifice.
Commence alors la seconde partie, celle d’un corps en route vers la mort, dans un Broadway qui bruisse de vie. A partir de là, la caméra ne va plus lâcher le visage du personnage, pour y traquer, avec une étonnante sécheresse, les plus infimes ondoiements , moins à la recherche d’un restant de symbole identitaire ou d’émotion - la jeune fille en a été méthodiquement curée – que d’un captation de ce qui reste d’instinctuel dans un être dont l’âme a été confisquée au profit d’une mission de kamikaze.
Dans son beau livre « L’attentat », Yasmina Khadra s’interroge sur les raisons qui ont poussé une jeune femme à faire exploser, dans un restaurant de Tel-Aviv, la bombe dissimulée sous sa robe de grossesse. Dans "Day night..." », ces raisons ne seront jamais évoquées, l’intention de la réalisatrice est ailleurs. Dans une volonté, proche de l’abstraction, de transmettre une oppression, un épuisement - le corps du personnage se courbe comme celui du Christ, en route vers le Golgotha, sous le poids de sa croix - une inquiétude presqu’animale.
Rien de volontaire et d’extatique, comme chez Tchen, le héros de « La condition humaine » de Malraux lorsqu’il se jette sous l’auto de Tchang-Kaï-Chek. Rien de mystique ou de fanatique comme chez Said et Khaled dans le « Paradise now » de Hany Abu-Assad.
Juste de l’anodin, du quotidien, presque de l’anonyme dans lequel se glissent, avec une force bouleversante, le tragique et le désespéré des missions-suicide.
La mise en scène de Julia Loktev (*), ciselée avec un minimalisme à la Mies Van Rohe, le jeu frémissant de Luisa Williams, la volonté de maintenir, en dehors de toute tentation psychologisante, les déambulations erratiques de l’héroïne (**) méritent amplement le Prix Age d’Or 2006 attribué par la Cinémathèque de Belgique. (m.c.a)
(*) dont le documentaire « Moment of impact » fait déjà partie des collections permanentes du MoMA de New York
(**) au visage proche de celui de Maria Falconetti dans la « Jeanne d’Arc » de Dreyer, et qui mieux que tous les discours, souligne l’appariement malsain des qualificatifs de terroriste et de martyr.