Sam Riley, Samantha Morton, Craig Parkinson
Il n’y a pas que le cinéma qui ait connu ce que Françoise Giroud a appelé la nouvelle vague dans un article paru dans l’Express le 3 octobre 1957.
La musique pop-rock a, elle aussi, vécu à la fin des années 1970 une secousse. Une saccade disruptive et contrevenante à ses fondements avec l’apparition d’un genre musical, bref et fulgurant dans sa pureté matricielle : la new wave qu’Anton Corbijn va saisir non pas dans son essentialité générique mais a travers celui qui en a été l’oiseau-lyre. Le beau, mythique, charismatique et douloureusement doué Ian Curtis.
Moins biographie reconstituée que bouquet de moments ou d’instants, « Control » est la magnifique représentation d’un homme et d’un artiste dont les fêlures s’agrandissent, sismographiant au plus près la montée d’un mal épileptique qui aurait requis, pour être tempéré, de se coucher tôt et de vivre calmement.
Au début, tout paraît simple. Ian se marie et souhaite un enfant. Loin de l’image du musicien déjanté, il travaille et semble mener une existence parfaitement neutre, parfaitement plate, parfaitement conforme aux standards d’une petite ville de la Mid-England.
Et pourtant cette contention de bienséance présente des boutonnières de fragilité ou d’euphorie dans lesquelles se glissent les vers mélancoliques de Woodworth ou les chansons transgressives de David Bowie.
Cette vie en apparence banale, en apparence flegmatique, se décline, dans ses replis secrets, bien autrement.
Sous le blouson siglé « Haine » du post adolescent, se cache un jeune homme taciturne, écartelé entre deux femmes et dont le talent bien réel ne dissimulera pas longtemps le crépusculaire qui l’a poussé à baptiser le groupe dont il est le chanteur, « Joy Division » du nom des bordels allemands en Pologne durant la deuxième guerre mondiale.
Curtis a la grâce de ses 23 ans, mais les ombres d’un mal de vie qu’il arrivera à exprimer, mais pas à canaliser, dans ses plus belles chansons « She’s lost control » ou encore « Love will tear us apart ».
Sam Riley (*) incarne Curtis avec un naturel confondant. Réussissant à capter de son modèle (**) cette gestuelle vibratoire particulière d’où s’échappent à la fois rythme, conviction et puissance qui piétinent. Impasse des gestes dissociant les bras qui s’agitent des pieds qui piaffent. Incapables de se mettre en route, ils figent, physiquement et psychologiquement, le personnage dans une posture dont l’immobilisme métaphorise l’espoir, rageur et illusoire, de Curtis de sortir des tourments qui le conduiront à se pendre une nuit de printemps en 1980.
C’est dans l’esprit d’une photo qu’il avait prise du chanteur, quelques jours avant sa mort, - celle d’un homme se retournant dans un tunnel – qu’Anton Corbijn (***) a réalisé son premier long métrage. En noir et blanc, couleurs dont les contrastes sont complémentaires de la lucidité sombre et attachante d’un homme qui perd le contrôle de son corps et de son cœur.
Que ce film soit l’occasion de rendre hommage au journaliste Bert Bertrand qui a été le premier, en Belgique, à reconnaître et à saluer l’exigence d’un mouvement qui n’avait pas de révolutionnaire que les sons. Bert s’est suicidé à New York en 1981. (m.c.a)
(*) qui avait déjà joué un petit rôle dans le film de Michael Winterbottom « 24 Hours Party People » qui retraçait l’épopée des Factory Records, la maison de production entre autres de Joy Division
(**) visible sur www.youtube.com
(***) photographe hollandais et réalisateur de vidéos pour Nirvana, Depêche Mode, Nick Cave ….