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COMANCHERIA (HELL OR HIGH WATER)

David Mackenzie

Ben Foster, Chris Pine, Jeff Bridges, Dale Dickey, Katy Mixon, Kevin Rankin, Marin Ireland

102 min.
21 septembre 2016
COMANCHERIA (HELL OR HIGH WATER)

Un long travelling balayant un parking qui laisse apparaître cette inscription sur un mur « Trois ans de service en Irak. Et le pays semble nous oublier ici ». D’emblée, le ton est donné pour nous raconter l’histoire des frères Howard, Toby et Tanner, qui décident d’organiser une série de braquages, après la mort de leur mère. Ils ont besoin de cet argent pour sauver le ranch familial et visent uniquement les agences d’une même banque, celle qu’ils doivent rembourser. Deux Rangers, l’un bientôt à la retraite et son adjoint, se lancent à leur poursuite, bien décidés à les arrêter.

Projeté au 69ème festival de Cannes dans la catégorie « Un certain regard » et en avant-première au festival du film Américain de Deauville, « Comancheria » est une petite pépite réalisée par le réalisateur britannique, David Mackenzie (« Young Adam », « Perfect Sense », « Starred Up »). Le scénariste n’est autre que Taylor Sheridan, connu pour son interprétation de David Hale dans la série « Sons of Anarchy » et auteur de « Sicario » réalisé par Denis Villeneuve. Le script de « Comancheria » figurait sur la Black List (2012) des meilleurs scénarios en attente de producteur dont les droits ont finalement été acquis par Sidney Kimmel Entertainment et Film 44, la société de Peter Berg.

« Comancheria » est avant tout un film à l’univers masculin plaçant au centre de son intrigue quatre personnages incarnés par quatre comédiens remarquables. Chris Pine, l’interprète du capitaine Kirk dans « Star Trek », campe le rôle de Toby, un homme plutôt discret en comparaison avec son frère, Tanner, plus impulsif, incarné par Ben Foster. Les deux acteurs se retrouvent donc une fois de plus, puisqu’ils ont récemment partagé l’affiche de « The Finest Hours ». Face à ce duo fraternel, on retrouve d’une part Jeff Bridges, oscarisé pour « Crazy Heart », dans le rôle de Marcus Hamilton, ce Ranger qui approche de la retraite et qui mène sa dernière enquête, et d’autre part Gil Birmingham, connu pour la saga « Twilight », dans le rôle d’Alberto Parker, dont le nom de famille lui vient du dernier chef comanche, Quanah Parker. Notons que l’acteur est lui-même d’origine comanche. Par ailleurs, le titre du film « Comancheria » fait référence à la région autrefois habitée par le peuple amérindien avant 1860. Elle englobe aujourd’hui l’État du Nouveau-Mexique, l’ouest du Texas et d’autres territoires. Le film porte également un autre titre « Hell or High Water » qui pour sa part renvoie à une clause de contrat de prêt qui implique que les paiements doivent continuer même si la partie versante rencontre des difficultés.

Avec ses allures de western contemporain, matérialisé à l’écran par l’utilisation du numérique alliée au format CinemaScope, le film parvient à dépasser les clichés du genre. Autre référence au western, les blagues racistes du Ranger Marcus envers son adjoint, Alberto. Mais si celui-ci encaisse dans un premier temps, il ne tarde pas à lui rendre la pareille, et leur relation se transforme peu à peu en amitié. Les plans d’ensemble sur les paysages et les plans larges qui donnent à voir les individus en opposition, typiques du western, alternent avec des plans moyens, plus proches des personnages et de leurs émotions, clin d’œil à un autre genre cinématographique, le drame. On voit donc que le réalisateur britannique se plait à mélanger les genres, à brouiller les frontières.

Dans cette intrigue non-manichéenne, les braqueurs deviennent les bons méchants qui cherchent avant tout à se faire justice. L’affrontement ne se fait plus entre cowboys et indiens, mais entre citoyens et « capitalisme », notion abstraite matérialisée en l’occurrence à travers la banque et ses agences. Chacun participe à sa façon à ce drame, malgré lui. Puisque vaincre l’ennemi semble impossible, il faut s’adapter, autrement dit, avoir de l’argent. Et c’est précisément là que les actes des deux frères deviennent légitimes. Ils n’ont pas d’autres choix que de franchir cette frontière « morale » pour s’en sortir, ou du moins, permettre à leurs enfants de survivre. C’est ainsi que Toby se retrouve à expliquer son geste au Ranger. Hors de question que ses fils soient pauvres comme lui l’a été ou comme ses ancêtres l’ont été. Cette pauvreté comparable à une maladie qui s’enracine de génération en génération doit être éradiquée, même si pour cela, il doit risquer le tout pour le tout. C’est en cela notamment que le film témoigne d’une empathie envers ses personnages et rend hommage aux valeurs de la loyauté et de la famille, et plus encore de l’amour fraternel. En effet, Tanner qui sort tout juste de prison, va aider son frère dans cette entreprise quasi-suicidaire, non pas parce qu’il a soif de vengeance, mais parce que Toby lui a demandé.

« Comancheria » est donc bien plus qu’un simple film de braquage, c’est un portait du Texas et de ses habitants qui se battent pour leur terre. Et ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Les Rangers sont impuissants face à ce système qui pousse les propriétaires à abandonner leur bien. Comme le souligne le personnage d’Alberto, les banques sont en train de faire aux blancs de ces terres ce que les ancêtres de ces mêmes personnes ont fait autrefois à ses ancêtres amérindiens. On retiendra d’ailleurs cette scène d’impuissance, alors que les Rangers sont à la poursuite des braqueurs, un incendie ravage les champs et oblige les fermiers à déplacer leur troupeau. Marcus explique alors à Alberto, qu’ils ne peuvent rien faire pour les aider, seul le fleuve un peu plus loin arrêtera le feu.

Le film nous dévoile ainsi l’envers du rêve américain qui transpire la poussière et le désespoir. Ce désenchantement de l’Amérique n’est pas sans rappeler « No Country for Old Men » des frères Coen, mais on pense aussi au film « 99 Homes » de Ramin Bahrani qui revenait sur les conséquences de la crise des subprimes. Comme on le voit, les films qui s’attaquent au système bancaire semblent avoir la cote. Pourtant « Comancheria » est un objet cinématographique singulier, sublimé par la bande originale de Nick Cave et Warren Ellis. Un véritable coup de cœur en cette rentrée.

(Nathalie De Man)