Cinéphile
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CES RENCONTRES AVEC EUX

Jean-Marie Straub & Danièle Huillet (France 2006 - distributeur : Ecran Total)

Angela Nugara, Grazia Orsi, Angela Durantini, Giovanna Daddi, Andrea Bacci

68 min.
28 juin 2007
CES RENCONTRES AVEC EUX

Les Philémon et Beaucis du 7ème art sur grand écran pour la dernière fois. La mort de Danièle Huillet, la compagne-partenaire pelliculaire de Jean-Marie Straub, a mis fin, en ce début d’’automne 2006, à une des plus singulières et textuellement fécondes rencontres du cinéma français.

Depuis leur premier court métrage en 1963, « Machorka-Muff », les deux cinéastes n’ont cessé d’interroger, avec exigence et rigueur, d’admirables œuvres littéraires.

Après Henrich Böll (*), Pierre Corneille (**), Elio Vittorini (***), ils réservent tous leurs soins à l’adaptation des cinq derniers « Dialogues avec Leuco » de Pavese.

Dans cette œuvre, qu’il devait vraisemblablement considérer comme la plus significative de ses productions puisqu’on en retrouvera un exemplaire dans la chambre d’hôtel où il s’est suicidé en 1950, Pavese interroge la condition de l’homme confronté au chaos, à la nature, et à la mort.

On comprend ce qui, dans cette moderne théogonie, a séduit Straub et Huillet (****) : la pose d’un cadre qui, par son refus du désordonné, de l’accidentel et de l’hétéroclite, laisse toute la place à une réflexion que les cinéastes matérialisent par une diction déclamatoire en langue italienne et une monotonie du décor. Qui empruntera, avec insistance, à son procche environnement la beauté des arbres, des rochers et des chants qu’ils soient d’oiseaux ou de vents.

En position asymétrique et dévitalisée à ces paysages, des hommes et des femmes dont l’attitude statique transcende, par leur calme imposé, la gravité d’un questionnement sur la fragilité de la destinée humaine désertée par le divin et le mythologique.

L’intégrité artistique des cinéastes, la remise en cause des schémas narratifs et esthétiques traditionnels, l’audacieuse mise à distance de tout événementiel donnent à leur cinéma une image élitaire qui peut, au mieux dérouter, au pire ennuyer.

Et pourtant un détour par Straub-Huillet vaut la peine. Parce qu’il rompt avec le train-train du conventionnel et de l’attendu, parce qu’il s’adresse à l’intelligence du spectateur et parce qu’il illustre, qu’à travers les mots et les plans fixes asservis à la rigueur de la forme carrée, une expérience peut devenir une entreprise d’un nouveau type : une aventure métaphysique.

Pour compenser la prosopopée déjà blockbustée de Bruce Willis dans « Die Hard IV » sorti cette semaine, pourquoi ne pas tenter celle du « Think hard » et prendre, au moins une fois, le chemin d’un « tenir tête » à un cinéma industriel, préfabriqué et supermarketé ? (m.c.a)

(*) « Non réconciliés »
(**) « Othon »
(***) « Sicilia »
(****) ... qui, dans « De la nuée à la résistance » en 1979, avaient déjà adapté six des vingt-sept dialogues pavésiens - lire dans « Les Cahiers du Cinéma » d’octobre 2006, lors d’un entretien croisé en page 37, les différences entre l’œuvre d’hier et celle d’aujourd’hui.