Ecran témoin
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

CECI N’EST PAS UN FILM

Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb (2011)

Jafar Panahi & Mojtaba Mirtahmasb

75 min.
19 octobre 2011
CECI N'EST PAS UN FILM

Si « Ceci n’est pas un film » comment définir ces 75 minutes d’images, à la fois intrigantes dans leurs intentions, intéressantes par leur sincérité et parfois assommantes par leur monotonie répétitive et égo-centrée.

Est-ce un défi, l’expression d’un désarroi, d’une frustration, un acte de résistance, de résilience, une façon de tenir bon, une plainte, un passe-temps, un réflexe d’auto défense, une forme de narcissisme, un instrument de réflexion, un geste de vitalité ?

Un pied de nez au pouvoir judiciaire qui a condamné Jafar Panahi, en décembre 2010, pour propagande contre le régime de Mahmoud Ahmadinejad, à 6 ans de prison et à 20 ans d’interdiction de réaliser des films ?

Un peu de tout cela à la fois sans doute mais surtout il est le témoignage d’une journée (*) d’un réalisateur en inactivité et en attente de la conclusion de la procédure d’appel qu’il a initiée.

Réalisateur qui nous a habitués par son cinéma à une idée du courage souvent déclinée au féminin - qu’il s’agisse de la petite fille du « Miroir », des jeunes filles de « Offside » ou des femmes du « Cercle » qui ne baissent jamais les bras devant les obstacles qui se dressent entre la réalité et leur désir.

C’est à son tour maintenant de faire preuve des mêmes force, détermination et imagination que ses personnages en demandant à l’un de ses amis, depuis lors lui aussi assigné à résidence, le réalisateur Motjaba Mirtahmasb de le filmer, de l’aube au milieu de la nuit, le jour de la Fête de Feu (**)

Faisant ainsi de « Ceci n’est pas … » non pas le long métrage que Panahi avait en projet lorsqu’il a été condamné - l’histoire d’une jeune femme enfermée par le siens afin de s’assurer qu’elle ne puisse pas entamer des études artistiques – mais le portrait d’un homme dont l’amertume et les doutes n’arrivent pas à brider l’envie d’agir et de communiquer, sous la forme d’une clé USB mystérieusement parvenue aux organisateurs du festival de Cannes 2011, une expérience dont la douleur d’être privé du droit d’exercer son métier devient à la fois la cause, la colonne vertébrale.

Et l’occasion de rebondir, de ne pas s’avouer vaincu en nous proposant, avec des moyens techniques modestes et une drôlerie inattendue, un manifeste sur la puissance de l’Art face à un pouvoir qui censure, réprime et interdit.

Avec « Ceci n’est … » Panahi arrive à aérer le sens du mot « geôle » et même s’il n’évite pas un certain appesantissement sur son cas personnel - ils sont nombreux en Iran à avoir été condamnés pour les mêmes raisons et on aurait aimé une allusion à ces anonymes, qui vivent dans des conditions moins confortables qu’un bel appartement non loin du centre de Téhéran - un étrange sentiment envahit le spectateur lors de la dernière scène montrant un réalisateur saisi sur le seuil de sa maison, face à une ville embrasée de feux d’artifices.

Étrange parce qu’à l’espoir se mêlent de la mélancolie et des interrogations.

Depuis la fin du tournage de « Ceci n’est pas … » qu’est devenu Panahi ? Combien de temps encore pourra-t-il supporter d’être le poisson rouge « tournant » dans son bocal ?

Alors qu’il vient d’apprendre en ce début octobre 2011 que sa condamnation a été confirmée par un arrêt d’appel. (mca)

(*) qui pourrait devenir aussi symbolique que celle d’Ivan Denissovitch de Soljenitsyne
(**) Cette fête sans doute délibérément choisie pour sa signification politique. En effet elle se réfère non pas au Coran des Mollahs mais aux modes de penser plus anciens et surtout plus tolérants du prophète Zoroastre aussi connu chez nous sous le nom de Zarathoustra.