Hayley Atwell, Sally Hawkings, Ewan McGregor, Colin Farrell
Cassandre, d’après la geste homérique, a l’intuition prophétique. Et connaît la souffrance de ne jamais être crue.
Chez Woody Allen, Cassandre est le nom donné par deux frères à un rêve qui a la forme d’un voilier pour la possession duquel ils acceptent la criminelle mission que leur propose leur oncle.
A partir de ce scénario simple en apparence, Woody Allen va creuser en profondeur et en douleur une réflexion autour des trois piliers d’une société moderne symbolisée depuis « Match point » par la vivante et rapace capitale de l’Angleterre.
Ce Londres brumeux des classes aisée et moyennes (*) qui fantasment sur la puissance de l’argent, les liens familiaux et les relations sexuelles.
Woody-l’européen, s’il n’est pas comme dans "Manhattan" ou " Melinda & Melinda" (**) au sommet de son art, reste en grande forme. Celle d’un septuagénaire qui pose sur le genre humain un regard désenchanté, gris et tourmenté.
Sa mélancolie n’est plus ironique mais fataliste - les frères n’utiliseront pas le choix qui est le leur de refuser d’entrer une fatalité meurtrière. Son humour n’est plus réjouissant mais caustique - le seul à qui le crime profitera sera son commanditaire.
Son intelligence à conduire une intrigue a cessé d’être drôle pour devenir grave. Et pourtant l’esprit allen-ien est toujours là. Plus présent que jamais mais dégraissé de l’envie de faire rire. Pour faire réfléchir sur l’autre versant de la vie. Moins coloré, moins fringant. Il y a des situations dont on ne se tire pas par une pirouette ou un bon mot.
Il y a des situations qui engluent et enlisent inexorablement ceux qui s’y aventurent. Pour entrer dans la délinquance, il faut des qualités d’insensibilité que ne possède pas Terry, un des frères de « Cassandra’s … » incarné de façon tendre et désemparée par Colin Farrell. Il faut aussi des nerfs d’acier que ne possède pas l’autre frère, Ian interprété par un Ewan McGregor frimeur et beau gosse.
Pas de leçon de morale ou d’appel à la conscience chez Woody Allen. Juste une maturité à ne pas se laisser leurrer par une autocélébration de la notion de famille. Juste une sobriété à suggérer que lorsqu’un drame se produit les responsabilités sont multiples.
Au jeu du "Qui est coupable ?", la palette de réponses proposées par le cinéaste est infinie (***). Sa noirceur et son pessimisme renvoient au Renoir de « La règle du jeu ».
Déjà dans « Crimes and misdemeanors », il flirtait avec la plus sombre des métaphysiques. Mais il y flirtait avec un sens de la jubilation absente de ce « Cassandra’s dream ».
Cet avitaminose de gaieté risque de désarçonner les aficionados d’un réalisateur classique et comiqueux. Les autres et tous ceux qui aiment les ruptures de tons seront fascinés par l’audace de sa vision d’un monde décanté des lunettes - que Flaubert appelaient roses - de l’illusion.
Et si le pouvoir de regarder le désolant et le tragique des choses sans artifice mensonger ou distractif était la preuve que les longues années passées par Allen sur le divan n’ont pas été vaines ?
Le magazine "Transfuge" consacre son hors-série #3 au plus célèbre des New-Yorkais qui accepte d’y répondre aux questions de Sophie Pujas. (m.c.a)
(*) Un peu comme chez Ken Loach ou Stephen Frears pour les classes plus défavorisées.
(**) Qui initiait l’idée du choix : développer la même anecdote sur le mode tragique ou comique relève de la liberté de chacun. Dans "Cassandra"s...", la volonté du cinéaste est manifestement d’inscrire son histoire dans une structure rigoureusement dramatique.
(***) La mère exaspérante par sa fixation sur la réussite sociale et financière de son frère ? L’oncleprêt à tout pour maintenir scellées ses combines affairistes ? Le père trop faible ? Les frères trop glandeur ou trop joueur ? Les femmes parce que vénales ? Ou encore la société parce qu’elle présente la réussite sociale comme la finalité absolue ?