Dominique Blanc, Denis Lavant, Jacques Bonnaffé
Ni adaptation du « Moby Dick » d’Herman Melville, ni revisitation de celui de John Huston, « Capitaine Achab » est pourtant d’une fidélité étrange et intrigante au roman.
Une fidélité plus subjective qu’objective parce que son intérêt est centré principalement sur les personnages et (très) accessoirement sur les aventures qui leur arrivent.
Une fidélité à l’essence d’une œuvre comme peut l’être l’hommage rendu à un livre (ou film) qui parce qu’il a été, par maintes lectures (ou visions), désossé et digéré n’a plus besoin d’accroche à son contenant.
Ce qui a été ingéré de son contenu suffit pour ne plus servir de bouclier au refoulé de chacun sur lequel vient cogner le cœur de l’entreprise melvillienne (ou hustonienne) : l’entrée par les mots (ou les images) dans « l’âme blessée » d’un chasseur de baleine.
Approche quasi psychanalytique, chez Philippe Ramos, en ce sens qu’elle comble les lacunes d’un récit en inventant (en élaborant dirait Freud) un plein au manque-à-lire de Melville.
Un plein (*) que le réalisateur va structurer en une succession de cinq tableaux précis, maniérés parfois comme pour tenir à distance une émotion qui n’a pas sa place dans l’aridité de la quête introspective à laquelle le spectateur est convié.
Quête pour tenter de saisir ce qui a conduit un enfant, orphelin de mère, à devenir un adulte solitaire et sans foi, appendu à une revanche qui prendra la forme d’une baleine blanche.
Pas un instant, le réalisateur ne se détourne de son intention disruptive - rompre avec ce que l’on attend d’habitude d’une transposition d’œuvre sur grand écran. En utilisant les moyens mis à sa disposition - théâtralité du jeu, inserts de films muets, dialogues très écrits, esthétisme des cadrages - il parvient à un résultat singulier (**) et fascinant.
Fascination à laquelle Denis Lavant concoure par sa présence intense et Dominique Blanc par une ardeur qui la cloue sur le rivage en une attente qu’elle sait vaine de celui qui ne reviendra pas.
Tout chef d’œuvre est créateur de fantasmes. Victor Schlöndorff, Martin Scorsese, Luchino Visconti nous ont offert les leurs dans « Un amour de Swann », « The age of innocence », « Morte a Venezia » (***)
Ceux de Philippe Ramos sentent le vent et laissent filtrer une lumière qui, par sa beauté paisible, éclaire d’une surprenante force un parcours d’homme marqué, dès son entrée au monde, du sceau de la perte.
De la frustration. De la déception. Ravageuses. Mortifères. (m.c.a)
(*) Totalement éloigné des « prequels » dont le cinéma américain s’est entiché parce qu’ils permettent d’engranger de nouvelles recettes financières à une série qui cartonne. L’exemple récent le plus regrettable étant celui de « Hannibal rising » de Peter Webber.
(**) Inspiré peut-être, sans la copier et encore moins avoir la prétention de s’y comparer, de la démarche opérative d’un Peter Greenaway.
(***) Dans l’ordre de Marcel Proust, Edith Wharton et Thomas Mann.