Isaac Levy, Zabulon Simantov et les habitants de Kaboul
En 1934, Clark Gable et Claudette Colbert étaient contraints de partager, pour une nuit, une chambre de fortune. En guise de cloison : une couverture aux résonnances prophétiques « le mur de Jéricho ». C’était dans le tendre et cocasse « New York-Miami » de Frank Capra.
Depuis une décennie, Isaac Levy et Zabulon Simantov partagent une synagogue depuis longtemps abandonnée de Kaboul. En guise de cloison : une haine tenace aux accents « conjugaux » « Ni avec toi ni sans toi ». C’est un film attachant et madré cadencé comme un conte orientalo-biblique
Pour mieux s’imprégner de son sujet et lui donner l’irremplaçable velouté du naturel, Dan Alexe a choisi de vivre pendant un an avec ses deux vénérables et insupportables héros allant même jusqu’à apprendre leur langue, le farsi de Kaboul, pour éviter entre eux tout brise dialogue.
Investissement réussi tant la rencontre entre le regardant et les regardés est porteuse d’humanité, de tolérance et de drôlerie.
Si pendant un bref instant le spectateur se demande si ces deux-là ne sont pas les avatars d’une sorte de « second life » aboutie, très vite il se dit que tout compte fait il ne s’agit que d’une preuve de plus que bien souvent la réalité dépasse la fiction aussi fantasque soit elle.
Et dès lors il se met à s’attacher à ces deux hurluberlus avec la même proximité affective que s’ils étaient ses voisins de palier.
Ni les insultes échangées, ni les accusations de l’un sur l’autre, ni les dénigrements et tentatives de détournement de l’attention du cinéaste n’arrivent à totalement agacer ou à saper la bulle de bienveillance éprouvée à l’égard de ces deux hommes qui ont choisi de rester, comme les phares qui trouent les ténèbres, dans un pays qui a connu l’obscurantisme des talibans.
C’est alors que peu à peu derrière le portrait de deux individualités se dessine, grave et paradoxal, un regard sur une société musulmane capable d’intégrer deux juifs mais incapable de respecter la société, contrainte dès lors à l’exil, dont ils sont les représentants.
Tragi-comédie qui va droit au cœur parce que le réalisateur a choisi de ne pas rester uniquement derrière la caméra mais de s’en servir comme d’un sésame à la conversation. Devenant ainsi le tiers qui donne sens à la relation qu’il décrit. Celui qui, par ses rôles de confident et parfois de médiateur, souligne l’étrange solitude de ce couple perdu dans un environnement sinon hostile du moins inattendu.
Lorsqu’il est paru en 1955, la nouveauté de « Tristes Tropiques » de Claude Levi-Strauss a été pointée par George Bataille « …saisir la réalité humaine de façon plus large, plus poétique… ».
La singularité de « Cabale à Kaboul… » est elle aussi palpable. Depuis l’écho syncopé du redoublement de syllabes de son titre, en passant par le cruel et signifiant combat de coqs du début de film pour se terminer par un pudique et navrant décès.
Soulevant une question dont on redoute la réponse : et maintenant que deviendra Zabulon sans Isaac ?
Dan Alexe présentera son film à Flagey ce mercredi 9 janvier à 20.00 et à 22.00 heures. Soyons y nombreux. (m.c.a)
(*) Journaliste et boom operator (assistant à la production du son) pour plusieurs films et téléfilms de qualité diverse, Dan Alexe termine une thèse sur le mysticisme musulman contemporain. Il est l’auteur d’un documentaire sur deux derviches tourneurs « Les amoureux de Dieu ».