Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Kris Cuppens, Mariet Eyckmans, Cédric Eeckhout
Si pour Jean Cocteau le cinéma est une écriture dont l’encre est la lumière, pour Joachim Lafosse l’encre est en le désir.
Ce désir qui met de la parole et de l’élaboration là où la réalité est tissée de manques. Manque d’argent, de stabilité professionnelle et de spectateurs sur lesquels viendra se greffer une histoire, qui non seulement se raconte, mais surtout s’échange.
Un cinéaste au chômage (un épatant Fabrizio Rongione dont les attitudes et mimiques ont ce quelque chose de chaplinesque qui à la fois fait sourire et rend mélancolique) et une bande de copains, tous sans emploi, décident de faire, quoiqu’il advienne, un long métrage.
Film optimiste et chaleureux, « Ca rend heureux » aborde des questions existentielles (l’amour, le couple, l’éventualité de la paternité, l’amitié) et cinématographiques (quelle est l’utilité d’un film ? Pour qui fait-on des films ?) que n’aurait pas désavouées le François Truffaut de « La Nuit Américaine ».
On est loin de la vision intellectualisante à la Godard (« Le mépris ») d’un film en train de se faire. On est happé dans un processus de création vivant, fluide, généreux dont on ressort le cœur en bandoulière parce qu’on a assisté à une gageure réussie : tourner un film avec moins de 10.000 €
« Ca rend heureux » rappelle, avec justesse toujours et ironie souvent que l’essence de la vie ne peut jamais être exactement définie parce que tantôt elle penche du côté de la fiction tantôt du côté de la réalité.
Le film crée et donne du bien-être. Il est non seulement, pour reprendre une expression souvent employée par ses personnages « fertile » mais il est tonique. Il n’est pas étonnant dès lors qu’il ait reçu le Prix du Public du festival 2006 du film européen de Bruxelles. Il a donné à chacun l’envie de chanter « Dat maakt ons blij »
« Ca rend heureux » est une lettre visuelle et affective qu’un réalisateur adresse à ses compagnes et compagnons de vie et de cinéma parce qu’il est conscient que c’est leur union, enrichie de leurs confrontations, qui permettra à une œuvre de jaillir.
C’est aussi une déclaration d’amour à une ville et à sa diversité culturelle (peu de cinéastes, hors Chantal Akerman dans « Toute une nuit » ont chanté notre capitale à la façon tendre et légère d’un Dick Annegarn) et finalement à la vie elle-même qui trouve, malgré sa structure morose, à insérer dans son déploiement des moments d’humour (*) et de complicité.
Joachim Lafosse se pose et pose aux spectateurs une question directe : que faut-il faire pour que les gens finissent par aller voir des films qui ne font pas partie des blockbusters américains ?
La réponse est simple : se lever et sortir de chez soi, mû par le désir (**) de voir un film à dimension humaine. Alors, pour tous ceux qui hésitent, qui tergiversent, une seule injonction : DEBOUT ! 85 minutes de bonheur ça ne se refuse pas (m.c.a)
site officiel du film : www.carendheureux.com
(*) Wallace Shawn, dans le beau film de Woody Allen « Melinda and Melinda », l’avait déjà constaté : le tragique de la vie n’exclut pas les moments où l’on en rit
(**) Celui du spectateur en écho à celui du réalisateur