Joaquin Phoenix, Woody Norman, Gaby Hoffmann
Johnny (Joaquin Phoenix), journaliste radio qui interviewe les jeunes sur le monde et leur avenir, est appelé par sa sœur Viv (Gaby Hoffmann) pour qu’il vienne s’occuper de son fils Jesse (Woody Norman) car elle-même doit s’occuper de son mari qui souffre de troubles bipolaires.
Johnny se rend dès lors chez sa sœur, à Los Angeles, pour s’y occuper de son neveu. Mais Viv doit s’absenter plus longtemps que prévu, et Johnny n’a alors d’autre solution que d’embarquer Jesse dans ses interviews aux quatre coins des États-Unis.
Mike Mills trouve son inspiration dans ce qui lui est le plus proche. Ainsi il réalisa Beginners (2011) peu après la mort de son père qui fit son coming out peu de temps après la mort de son épouse et mère de Mike Mills, et 20th Century Women (2016) est quant à lui un éloge aux femmes fortes et indépendantes à l’image de sa mère.
C’mon C’mon est donc, de manière presque inévitable, une suite de sa réflexion sur les rapports familiaux, dont la source d’inspiration est évidemment sa relation avec son enfant de neuf ans.
C’mon C’mon peut ainsi être vu comme un film sur la paternité, sur la complexité, mais aussi la beauté et la richesse d’élever un enfant. Johnny qui n’y connaît rien se retrouve du jour au lendemain confronté à toutes ces questions que posent les enfants à longueur de journée, par moments si ennuyeuses et lassantes et par moments si stimulantes et amusantes, donnant naissance à de nouvelles pistes de réflexions. Mais dans ce film-ci, bien qu’il soit construit autour de Joaquin Phoenix dans son rapport avec Jesse, Mike Mills confère encore une fois une place prépondérante à la femme, même quand elle est absente et lointaine. Cela se remarque de manière évidente lorsque Johnny et Jesse appellent Viv pour les petites bisbrouilles qu’ils ne parviennent pas à surmonter, mais aussi au travers de petits détails, comme lorsque Johnny nous lit un extrait du livre de sa sœur intitulé Mothers : An Essay on Love and Cruelty by Jacqueline Rose. Tant de petits détails épars tendent à valoriser l’importance et la force des femmes, comme nous le dit Mike Mills lui-même dans son interview avec Rubben Nollet : « Les femmes sont mieux développées que les hommes, c’est pour cela qu’elles peuvent prendre plus sur leurs épaules. » Mais élever un enfant n’en est pas moins complexe pour une femme, et Viv se doit de rassurer Johnny quand il l’appelle un peu désarmé : « No one knows what we’re doing with these kids. We just have to keep on doing it. »
Au-delà de cette thématique centrale du film, nous sommes également confrontés aux différentes interviews entre Johnny et les jeunes, des vraies interviews, au-travers desquelles Mike Mills veut encore une fois mettre en avant l’importance des enfants, leur manière de penser et de s’exprimer qui est finalement souvent plus intelligente que celle des adultes qui pensent souvent à tort devoir s’exprimer de telle ou telle manière à propos de tel ou tel sujet.
C’mon C’mon est filmé en noir et blanc. D’une part pour nous offrir un film entre documentaire et mythe et d’autre part pour conférer au film un côté plus doux et plus intime. Cela rend le film d’autant plus esthétique. Pouvant nous rappeler certaines séquences de Manhattan (1979) de Woody Allen, Mike Mills reconnaît s’être plutôt inspiré de Alice in den Städten (1974) de Wim Wenders, lui rendant d’ailleurs hommage en faisant porter à Jesse un t-shirt aux armoiries de Wuppertal (ville d’Allemagne dans laquelle se passe une partie du film de Wenders).
Les références et clins d’œil tant littéraires que musicaux dans C’mon C’mon sont nombreux et rendent le film riche et fouillé sans pour autant paraître lourd.
Terminer cette chronique sans parler de la performance de Joaquin Phoenix est inenvisageable. Connu e.a. pour ses rôles dans Gladiator (Ridley Scott, 2000), Walk the Line (James Mangold, 2005), Two Lovers (James Gray, 2008) Her (Spike Jonze, 2013), il fut récompensé en 2020 par l’Oscar du meilleur acteur pour sa performance inédite dans Joker (Todd Phillips, 2019). Et encore une fois, Joaquin Phoenix crève l’écran. Il est juste, il est formidable. Dans son interview avec Dave Mestdach, Mike Mills nous explique que Joaquin Phoenix n’est pas le genre d’acteurs que l’on dirige, mais bien le genre d’acteurs que l’on suit. Et comme on l’aime, on le suit. Connu au moment du tournage pour son rôle récent dans Joker, il aurait pu impressionner les enfants qu’il devait interviewer, mais il sait parfaitement comment les mettre à l’aise. De la même manière, c’est Joaquin et Woody qui ont proposé à Mike Mills de ne pas se rencontrer avant le tournage. Ainsi, le personnage de Johnny et de Jesse se rencontrent réellement pour la première fois lorsque Johnny débarque chez sa sœur pour prendre en charge la garde du petit.
Et la dernière petite chose que nous voulions souligner est le choix des villes où Johnny doit se rendre pour réaliser ses interviews qui est loin d’être anodin. De Los Angeles à New York, de Detroit à New Orleans : Mike Mills nous explique avoir choisi ces villes pour leur symbolique. New York représente le nouveau départ dans le nouveau monde à une certaine époque, Detroit incarne l’avenir tel que nous nous le représentions dans le passé (à savoir de grandes fabriques remplies d’ouvriers) et New Orleans expose le futur mis en danger par le réchauffement climatique. Si l’on relie ces villes sur la carte, on peut voir apparaître une croix, symbole fort et important pour Mike Mills.
Les enfants, on aime ou on n’aime pas. Tout comme pour Jesse (qui incarne très bien son personnage), tantôt ils nous agacent, tantôt ils nous surprennent. Le fait est que non seulement ils incarnent l’avenir, mais aussi une certaine cyclicité, celle de la vie tout simplement. Cette vie qui s’articule notamment autour de nos rapports familiaux, quels qu’ils soient, et qui en font toute la richesse. C’mon C’mon est un film sur la paternité certes, mais aussi sur le sens de la vie. Nous conclurons par cette belle citation que Johnny lit à Jessy avant de le coucher « Over the years you will try to make sense of that happy, sad, full, empty, always shifting life you are in. And when the time comes to return to your star you may find it hard to say goodbye to that strangely beautiful world. »
Astrid De Munter