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BLACK COAL, THIN ICE

Yi’nan Diao

Fan Liao, Lun-mei Gwei, Xue-bing Wang

106 min.
29 octobre 2014
BLACK COAL, THIN ICE

Noir comme du charbon, tranchant comme la lame d’acier d’un patin à glace, tel est ce troublant film chinois, reparti du dernier Festival de Berlin avec deux des plus grandes distinctions : L’Ours d’Or du Meilleur Film et l’Ours d’Argent du Meilleur Acteur pour Fan Liao. L’intrigue de ce polar se développe avec lenteur : en 1999, le corps d’un employé d’une carrière minière est retrouvé dispersé aux quatre coins de la Mandchourie. Fraîchement divorcé, l’inspecteur Zhang mène l’enquête. Blessé lors d’une interpellation très pulp dans un salon de coiffure, il devra abandonner la course à l’assassin. Cinq années plus tard, deux nouveaux meurtres sont commis dans la région, tous deux liés à l’énigmatique épouse de la première victime, employée dans un pressing. Devenu agent de sécurité et alcoolique, Zhang reprend du service et se prend de fascination pour l’étrange épouse.

Par la sévère dénonciation sociale qu’il inflige à son pays, Black Coal, Thin Ice n’est pas sans rappeler A Touch of Sin,film qui avait obtenu le prix du Meilleur Scénario au Festival de Cannes 2013. Mais à l’instar de son compatriote qui avait habilement exploité et relié, par le biais de la fiction, plusieurs faits divers particulièrement sanglants, pour dresser un panorama particulièrement affligeant de la Chine contemporaine, Yi’nan Diao dénonce la malaise social ambiant en suivant pas à pas, avec une photographie appuyée, les traces d’un inspecteur de police continuellement sur le fil du rasoir. Mais si ce flic sans cesse agité et souvent déboussolé suinte physiquement le mal-être, les décors urbains et les atmosphères glauques dans lesquels il évolue, concourent à rendre le malaise encore plus tangible. Il faut d’ailleurs souligner le remarquable travail sur la lumière et l’impressionnant chromatisme déployé dans ce film pourtant très noir. Lorsque le vert domine (dans la teinturerie comme dans les fréquentes scènes nocturnes), il est toujours habilement contrebalancé par un éclairage jaunâtre et des pointes de rouge. Le blanc, quant à lui n’est jamais immaculé, et la lumière ne s’y réverbère que très rarement, ce qui, tantôt, lui donne une tonalité triste et grisâtre, tantôt accentue les contrastes, qu’ils soient colorés ou tout simplement noirs. Yi’nan Diao va même jusqu’à développer dans l’immanquable fusillade du salon de coiffure un psychédélisme rétro quasi hallucinatoire où le rose prédomine.

Le réalisateur démontre également tout son savoir-faire dans de brillants plans séquences (magnifiquement habillés musicalement), qui temporisent, avec adresse, les scènes de violence. L’alternance millimétrée des scènes d’intérieur et d’extérieur filmées tantôt de jour tantôt de nuit (dont certaines s’inscrivent dans la répétition) participe également à donner toute sa crédibilité à la lente progression des événements. Certes, la duplicité de l’héroïne tend parfois à perdre le spectateur dans les dédales de la perplexité mais le point d’orgue de ce polar (qui donne tout son sens au titre chinois original, « Feux d’artifice en plein jour ») récompensera sa patience.

Même si Black Coal Thin Ice risque d’en rebuter plus d’un par sa noirceur et la violence de son sujet, les cinéphiles avertis apprécieront assurément ce Carré noir sur fond blanc tant la maîtrise chromatique de ce réalisateur iconoclaste est exemplaire.
 

(Christie Huysmans)