Tranche de vie
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Coup de coeurANOTHER YEAR

Mike Leigh (GB 2010)

Ruth Sheen, Lesley Manville, Jim Broadbent

129 min.
22 décembre 2010
ANOTHER YEAR

Il y a chez Mike Leigh quelque chose qui rappelle le poète René Char. Une façon d’être désenchanté sans pour autant cesser d’être créatif.

Comme lui, il ne craint pas de nommer des choses, de décrire des gens, de cerner des situations qui, chavirant les cœurs, sont délicates à visualiser.

En faisant choix de ne pas prêter à la forme cinématographique une attention particulière - le film est une sorte de quatre-quarts saisonniers dont chaque épisode également chronométré et articulé essentiellement sur la technique du champ-contrechamp – Mike Leigh décide d’axer son attention sur un scénario et des dialogues.

L’un et les autres s’emboîtant avec une aisance inversement proportionnelle à la difficulté d’être de la plupart de ses personnages.

Car si le couple-pivot du film - Tom & Gerri (ce n’est pas une blague… juste un des nombreux jeux de mots qu’affectionne le cinéaste) - se caractérise par une (trop) parfaite harmonie et bonté, leurs amis déraillent et chagrinent sérieusement.

Fidèle à ses partis pris habituels, délaisser l’exceptionnel pour saisir le quotidien et en extraire un jus fait de tendresse et de tragique, il nous parle de ce qui fait nœuds dans nos vies.

Nœuds positifs et chaleureux et dès lors points d’ancrage sur lesquels s’appuyer quand le blues et l’impression d’avoir paumé sa vie frappent à la porte.

Mais aussi nœuds de solitude, d’incapacité à communiquer, de névroses, de prises d’âge et de poids qui font souffrir.

Si parfois le bonheur de Gerri, psychologue et de Tom, géologue (*) est un peu téléphoné et irritant notamment dans les échanges de regards lourdement témoins de leur entente réciproque, il n’en reste pas moins que « Another year » place au cœur même de l’existence humaine le désarroi et les petits gestes anodins par lesquels on essaie de s’en sortir.

Bêcher un sol enneigé, se réchauffer en buvant un thé chaud, comprendre pourquoi plus on vieillit on aime l’Histoire, se blottir contre son « vieil » époux, prennent ici un sens précieux.

Pour nous indiquer que finalement il n’en faut pas beaucoup pour être heureux. Et que pourtant ce peu est pour certains impossible à atteindre.

Les acteurs sont anglais, donc tous parfaits. Une palme particulière pour les deux comédiennes. Qui avec presque rien expriment beaucoup. Un manteau dont on oublie de fermer les boutons. Une auto qui cale. Un regard qui se voudrait camera mais que le chagrin mouille et détourne.

Et tout est dit.

Des accès de tristesse. De la prise de conscience de "la merditude des choses"

De la fraternité souvent si malaisée à établir avec ceux qui nous sont proches.

Avec Mike Leigh, « l’euphorie perpétuelle » (**) n’existe pas. Seuls existent de ci de là des instants souriants coincés entre des moments de détresse et de solitude.

Dans « Autant en emporte le vent », la première partie se terminait sur quelques mots devenus cultes.

Quelques mots destinés à tenir à distance l’idée de la mort.

« Tomorrow is another day ».

Dans « Another year » il n’est pas acquis que durant l’année à venir tous auront nécessairement rendez-vous avec l’épanouissement et la confiance en soi, ces deux arceaux indispensables à l’acceptation de la vie telle qu’elle est. 

Souvent décevante. Homicide toujours. (mca)

(*) les deux époux sont unis dans la vie comme ils le sont par leur profession qui consiste pour l’un et l’autre à sonder ce qui est caché sous la surface.

(**) titre de l’essai de Pascal Bruckner paru en poche