Chronique dramatique
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ANNA M.

Michel Spinosa (France 2007 - distributeur : Victory Films)

Isabelle Carré, Gilbert Melki, Anne Consigny, Genevève Mnich

106 min.
18 avril 2007
ANNA M.

Anna M. Après Anna 0., célèbre pour avoir été la première patiente de l’histoire de la psychanalyse. (*)

Un sentiment les rapproche : le désir. Sous sa forme inhibante pour l’une (Anna O), sous sa forme délirante pour l’autre (Anna M ou en lecture rapide Anna aime).

Ce qui est remarquable dans le film de Spinosa c’est qu’il insère, dans une fiction, le tableau clinique d’une psychose passionnelle - l’érotomanie (**) - avec une rigueur qui ne démérite pas de la méthode précise avec laquelle Freud observait ses hystériques.

Après une tentative de suicide, Anna M. tombe amoureuse du docteur qui s’est occupé d’elle. Peu importe que ce dernier ne partage pas ses sentiments. Elle lui mènera une vie d’enfer.

Articulé en quatre volets qui correspondent aux invariants du trouble mental décrit (illumination, espoir, désillusion et haine), le film suit l’évolution de la maladie du point de vue d’Anna. Suscitant ainsi d’abord l’empathie et puis le rejet du spectateur contrairement à la façon dont Laetitia Colombani avait traité le même sujet dans « A la folie, pas du tout » avec Audrey Tautou.

Dans « A la folie… », la mise à distance venait de la découpe du film en deux parties, racontées chacune consécutivement par le protagoniste harcelant et harcelé. Favorisant dès lors une entrée inattendue dans la folie et cautionnant sa fin plus radicale.

« Anna M. » est porté par d’excellents acteurs. Isabelle Carré est au mieux de sa fragilité redoutable, Gilbert Melki est une très convaincante victime, à la fois dépassée et excédée. Dans des rôles secondaires, les prestations d’Anne Consigny en épouse discrète et solidaire et Geneviève Mnich en mère tantôt passive tantôt active sont au diapason d’un scénario qui cadre, avec violence et angoisse, la frontière entre le déraisonnable et l’irraisonnable.

La mise en scène, même si elle n’évite pas toujours un inutile paroxysme à la « Fatal attraction » d’Adrian Lyne, est intéressante lorsqu’elle oppose la calme routine du travail de l’héroïne - elle est restauratrice de manuscrits - à l’ouragan obsessionnel qui lui mouline la tête. Elle l’est moins lorsqu’elle se disperse sur des personnages annexes qui ravissent au récit sa force centripède ou qu’elle promeut une fin ouverte qui enlève au film de sa pertinence.

Si Michel Spinosa reconnaît s’être inspiré des travaux photographiques d’artistes ayant travaillé sur leur propre corps (Cindy Sherman, Laurence Demaison, Francesca Woodman …), il ne doit qu’à son envie personnelle d’emmener le spectateur, pour son plus grand plaisir, dans de beaux endroits de Paris (La Bibliothèque Nationale, ou du moins ce qu’il en reste dans ses locaux de la rue Richelieu, la librairie Galignani, les couloirs de la station de métro Louvres….).

« Anna M. » rappelle que l’amour « fou » n’est pas toujours celui poétisé par les surréalistes. Qu’il connaît un versant bien plus sombre qui révèle la démence de celui qui l’éprouve.

Il existe, Dieu merci, des définitions plus amènes de ce sentiment valorisé par Aragon. Interrogée à ce sujet par le Figaro Magazine, l’écrivain Dominique Rollin a eu cette réponse particulièrement sage : « L’amour fou c’est savoir apprendre à foutre la paix à l’autre » . (m.c.a)

(*) « Etudes sur l’hystérie » de Sigmund Freud et Joseph Breuer, édition PUF, collection bibliothèque de psychanalyse
(**) « L’Erotomanie » de Gaëtan de Clérambault, édition Les empêcheurs de penser en rond