Leonora Balcarce, Mercedes Moran, Malena Sola, Jorge Marrale
Pour son premier long métrage, Lucia Cedron choisit d’évoquer un sujet qui la touche intimement, un morceau d’Histoire lié à son propre vécu : la dictature qui sévit en Argentine de 1976 à 1983 [1].
Elle ne réalise pas pour autant un film historique classique, suivant de façon linéaire un événement passé, mais se livre au contraire à une évocation parcellaire et fragmentée s’organisant autour de deux époques.
D’un côté, on découvre l’Argentine en 2002, avec comme point d’ancrage l’enlèvement d’un homme et la demande d’une rançon à sa petite fille, Guillerma. De l’autre côté, on est plongé dans le même pays marqué par la dictature en 1978, où l’on retrouve les mêmes protagonistes, vingt-quatre ans plus tôt.
Par un va-et-vient incessant entre ces deux moments, la réalisatrice nous confronte à un processus du souvenir. Cet enlèvement soudain est en effet le moyen pour une famille de se remémorer un événement douloureux, de le mettre en lumière, de l’accoucher pour pouvoir mieux le regarder, le comprendre.
Au-delà du souvenir, il s’agit pour les personnages de se livrer à un chemin de deuil. En revenant à cette époque passée mais pas révolue, les personnages revivent l’épisode de la mort tragique et trouble du père de Guillerma.
Une mort engendrée par des opinions contraires à un gouvernement dictatorial. Une mort résultat de cette période barbare. Une mort caché et secrète, qui au travers de l’évocation sera élucidée, et peut-être, pardonnée.
Avec « Agnus Dei », on n’a pas la sensation d’être face à un film construit en flashback. Les deux époques sont présentées parallèlement, elles se font le miroir l’une de l’autre, éclairent peu à peu le présent.
Si l’année 2002 est exposée de façon linéaire, 1978 se donne à appréhender d’une toute autre façon, dans un éclatement temporel. Des parcelles du passé s’offrent à voir dans un ordre a-chronologique, de la même façon qu’elles se présentent à la mémoire, remontent à la surface de la conscience selon une logique engendrée par la réminiscence.
Mais cet affleurement du souvenir n’est pas aléatoire pour autant. Il se construit petit à petit pour terminer sur l’élément le plus douloureux, le plus grave, le plus dure à intégrer : la mort du père.
Cette évocation est faite avec énormément de pudeur. La réalisatrice ne montrera rien des tortures, des assassinats, des violences de 1978. Elle laissera ces éléments dans le sous-entendu, le sous-jacent. Ils seront présents sans nécessité d’être montrés.
Cedron évoque l’histoire de son pays avec la même pudeur, ne touchant jamais directement à des faits précis, mais envahissant les événements par le truchement de ses personnages.
On pourrait même parler de retenue extrême concernant « Agnus Dei ». Il semble que les sentiments que l’on y rencontre sont pétrifiés. La douleur des personnages est si forte qu’elle a été remisée, rejetée, médusée. C’est une sensation de sécheresse qui émane du film.
Le démembrement de cette aridité ne sera qu’esquissée à la fin, lorsque tous les secrets auront été dits, lorsque toutes les rancœurs auront été assumées, que l’on entreverra la possibilité d’un relâchement.
Cedron crée avec ce premier long métrage un univers qui lui appartient, une évocation à la fois en retenue et en émotion, à l’image de l’agneau du film, qui est autant le père sacrifié que la peluche offerte à Guillerma.
C’est l’ambivalence du sentiment comme du souvenir que souligne la réalisatrice, en n’émettant aucun jugement, mais en offrant des pistes, simplement. (Justine Gustin)
[1] Née en 1974 en Argentine, ses parents furent en effet poussés à émigrer en 1976 vers la France pour fuir le régime dictatorial qui les menaçait.