Coup de coeur mensuel
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Coup de coeur4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS

Cristian Mungiu (Roumanie 2007 - distributeur : Imagine Film Distribution)

Anamaria Marinca, Laura Vasiliu

113 min.
19 septembre 2007
4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS

4 mois, 3 semaines, 2 jours … et 1 heure cinquante trois minutes de tension.

Tension dont l’enjeu est un corps. Un corps avorté, un corps expulsé, un corps dont on cherche à se débarrasser. A tout prix et à n’importe quel prix.

Comme si la mise, au-delà de la volonté farouche d’une femme de mettre une distance entre elle et sa (pro)création, était de poser un acte de combat (*). De résistance à quelque chose de plus grand que l’événementiel individuel. Quelque chose qui pourrait s’appeler le régime de l’époque qui interdisait l’avortement (et la contraception) dans le but d’augmenter les naissances et donc la chair taillable et corvéable quand elle n’était pas à canon.

En Roumanie, en 1987 - soit deux ans avant la chute des Ceausescu - une jeune fille, Gabita ne souhaite pas, pour des raisons qui resteront celées, garder l’enfant dont elle est enceinte. L’avortement a lieu, un jour de crachin sinistre, dans une chambre d’hôtel. Son amie Otila est à ses côtés.

Soudées par l’amitié et le courage, rien n’arrêtera les deux amies. Ni les risques juridiques (l’emprisonnement) ou physiques (la mort par défaut de précautions médicales élémentaires). Ni l’insidieuse pression d’un faiseur d’anges qui réclame, outre ses leus, une rétribution charnelle. Ni les péripéties, fébriles ou banales, qui transforment occasionnellement le huis clos oppressant en rencontres avec un monde extérieur dont il convient de se méfier.

A la passivité sédentaire de Gabita répond la colère mouvementée d’Otila. La volonté d’agir d’Otila se heurte à l’apathie de son fiancé. A la solidarité anxieuse des jeunes filles s’oppose l’artificieuse convivialité d’un repas d’anniversaire.

Ces avers et revers de la même médaille, celle d’une société aliénée, sont formellement rendus par une caméra tantôt figée en de longs plans fixes tantôt « daerdennisée » à l’épaule. Tempo d’affrontement qui traduit, autant que les couleurs blafardes de l’ensemble, le côté aquarium d’un régime en bout de course, qui tourne sur lui-même avant d’aboutir dans un vide-poubelle.

Exit sordide de ce qui se veut une course, menée cœurs et corps battants, vers une volonté inexpugnable de vivre libre c’est-à-dire de choisir la direction que l’on veut donner à son existence.

En claque à la détresse et à la fragilité des jeunes femmes, une scène dure qui a fait couler beaucoup d’encre (**) : celle d’un fœtus longuement montré.

Et si cette représentation était en fait le point d’orgue (nécessaire) d’un drame personnel ?

Et s’il était l’écho prospectif de ce qui sera, un soir de Noël à Targoviste, l’autre représentation d’une tragédie programmée : l’exécution publique et télévisée de Nicolae Ceausescu. Faisant de cette obscénité sociétale la juste réponse aux obscénités privées engendrées par la dictature du "Génie des Carpathes".

"4 mois..." a obtenu, au festival de Cannes 2007, outre la Palme d’Or, le Prix du Jury de l’Éducation Nationale.
(m.c.a) 

 

(*) ce qui n’était pas le cas dans "Vera Drake" de Mike Leigh ou " Une affaire de femmes" de Claude Chabrol. Films dans lesquels les intentions étaient ostensiblement humanistes ou lucratives. 
 
(**) créant une polémique autour de la position, jugée ambigüe par certains, du cinéaste à propos de l’avortement.