Christian Bale, Russell Crowe
Même les cinéphiles peuvent hésiter à aller au cinéma. Un comble de l’hérésie ou une envie de garder intact le souvenir d’un film, vu et revu et qui chaque fois révèle un aspect différent de sa noblesse et sa grandeur ?
L’œuvre matricielle (*), dont celle-ci est une copie pâle sans être blafarde, date de 1957 et est signée de Delmer Daves, un des seigneurs d’un genre que John Ford sut rendre majeur : le western.
Elle était saisissante parce qu’à la fois huis-clos et parabole, elle s’attachait à la relation entre deux hommes. Un fermier et un chef de bande. Un sédentaire et un nomade. Un homme qui respecte la loi et un autre qui la transgresse.
Le premier étant chargé de garder et de conduire au train qui l’emmènera en prison le second, persuadé que ses compagnons de rapine arriveront à temps pour l’aider à échapper à son sort.
Que reste-t-il de ce tête à tête qui, à l’époque entre un Glen Ford porté par la grâce du talent et un Van Hefflin au mieux d’un personnage quelconque révélé, par l’exceptionnel d’une situation, à une stature qu’il ignorait, avait réussi à décliner la relation humaine dans toutes ses dimensions ?
De fascination, de répulsion, de tentation, de mépris, de désir et de rejet.
Il reste une besogneuse rencontre, squattée de mille et un détails inutiles et dès lors encombrants, entre un Christian Bale en anti-héros, revenu blessé de la guerre de Sécession, et un Russel Crowe en charismatique (et parfois cabotin) outlaw.
Tous les deux font de leur mieux - et y réussissent par le biais de l’intelligence pour Crowe et de la détermination pour Bale - pour porter l’histoire mais ce qui manque au récit c’est une âme.
Celle qui soufflait sur l’ouvrage de Daves et lui donnait cette aura particulière des grands films lorsque les mots destin, morale, courage, vertu, bien et mal s’entrechoquent, se croisent et se décroisent après avoir, de courts instants, donné l’illusion (l’espoir ?) de pouvoir fusionner.
Évidemment il y a plus de 50 ans entre les « 3:10 to … ». De quoi se rendre compte que même si les pendules donnent la même heure, elles ne sont plus synchro.
Au refus de Daves de sceller le sort de ses héros, à sa volonté de leur imaginer un goût pour l’ailleurs et une possibilité de se rédimer, se substitue chez Mangold un duel d’égos bâti sur un besoin narcissique de s’affirmer. Qui ancre définitivement le film dans une autre dimension.
Plus terre à terre, plus matérialiste, plus « capitaliste ». Le prix à payer pour cette réduction d’espace à la fois cinématographique et spirituel est lourd.
Non seulement parce qu’elle ampute le film d’une émotion laissée à l’appréciation de chacun suivant son implication dans le processus identificatoire sur lequel fonctionne le 7ème art.
Mais aussi parce que la mort d’un des personnages bloque l’imaginaire du spectateur qui se voit privé du plaisir de prolonger le film, dans sa tête, bien au-delà de la projection.
Et de faire grâce au cinéma, son cinéma.
Chez Daves, c’est parce que les deux caractères sont encore en vie, que son « 3:10 to… » résonne d’analogies voulues avec le mythe de Faust comme il le souligne dans un courrier du 12 août 1960 repris par Bertrand Tavernier dans sa magnifique somme « Amis américains - entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood » parue aux éditions Actes Sud.
Si la version 2008 est un bon divertissement (plus qu’un bon film) pour dissiper l’ennui d’une soirée, celle de 1957 est, par analogie avec le titre du film de Fred Zinnemann « A man for all seasons », « A movie for eternity ».
(m.c.a)
(*) Adaptée d’un court récit d’Elmore Leonard disponible en paperback sur www.amazon.com