Comédie sociale
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10 CANOËS

Rolf De Heer (Australie 2006 - distributeur : ABC Distribution)

Richard Birrinbirrin, Johnny Buniyira, Frances Djulibing

92 min.
14 février 2007
10 CANOËS

« 10 Canoës » est au cinéma ce que cette embarcation est aux bateaux : une singularité.

Dans son « Atlas 2006 », les Cahiers du Cinéma rappelle qu’en Australie, l’industrie du cinéma, en difficulté, a pris l’habitude de rémunérer somptueusement des experts de scénarios allochtones pour redorer son blason.

Bingo. Avec « 10 Canoës » le pari est réussi. (*)

Non pas parce que le réalisateur, hollandais, a l’aura mystérieuse des étrangers - il habite en Australie depuis très longtemps et il y a réalisé ses 10 premiers films dont le plus connu, sans doute parce que le plus classique, est, inspiré du beau livre de Luis Sepulveda « Le vieux qui lisait des romans d’amour »

Non pas parce que l’histoire est originale - sa banalité est universelle : un homme convoite la plus jeune des trois épouses de son frère.

Non pas parce qu’il est décliné à la façon d’un conte dont la valeur morale est tempérée par une solide ironie : l’aîné raconte au cadet une histoire proche de la sienne qui s’est passé en des temps immémoriaux, durée qui lui confère une valeur de mythe quasi biblique, pour tenir à distance les dangers d’une concupiscence fragilisatrice d’ une nécessaire solidarité tribale. (**)

Mais parce que le récit baigne dans une nature aussi déconcertante et envoûtante que celle magnifiée voire divinisée par Terrence Malik dans « The new world ».

La magie du film est de nous plonger, par la seule grâce de l’union parfaite entre des images et des sons, dans la moiteur d’une jungle lustrée par une palette de blancs et de verts. Évocateurs d’un élément aqueux mystérieux auquel répond la douceur de la langue aborigène.

Film de shantung et de velours, « 10 Canoës » a ce quelque chose du séduisant des rencontres dont la part qui échappe à l’entendement occidental est largement compensée par un sentiment de capture sensorielle qui nous rend frères de ceux, même lointains, avec lesquels nous partageons la même conscience d’être sur une planète à la végétation qui pulse et palpite.

Ce film a la grâce hypnotique des histoires racontées aux enfants pour les endormir - ce n’est pas par hasard qu’il commence par « il était une fois ».

Céder à son ambiance flâneuse et chaude en se calant dans son siège pour y goûter les bienfaits d’un demi-sommeil n’est pas faire injure aux qualités de « 10 canoës ». Au contraire c’est se mettre dans la même position d’accueil que les crocodiles lorsqu’ils attendent, les yeux à la surface de l’eau, le passage d’une proie. Cette position permet de ne pas rater ce qui est essentiel. Ce qu’on appelle communément « lâcher prise pour mieux saisir »

(m.c.a)

(*) le film a remporté à Cannes en 2006 le prix du Jury dans la section Un Certain Regard.
(**) on n’est pas loin d’un des épisodes fondateurs de Rome connu sous le nom de « l’enlèvement des Sabines ».