Road movie
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ELDORADO

Bouli Lanners (Belgique 2008 - distributeur : Benelux Film Distributors)

Bouli Lanners, Fabrice Adde

85 min.
4 juin 2008
ELDORADO

« Eldorado », cela sonne comme une invitation au voyage, une promesse de merveilleux, la découverte d’un ailleurs.

Si le second long métrage de Bouli Lanners a la forme d’un road movie, il ne nous mène pas exactement à l’exploration d’un univers paradisiaque. Il offre par contre l’opportunité de découvrir la Wallonie avec un oeil nouveau. Le travail entamé avec « Ultranova » se poursuit, avec pour mission de montrer une image autre de cette terre maintes fois battue, à mille lieues des clichés habituellement véhiculés.

Captée au travers de plans larges intenses, cet espace tient lieu de décor à la rencontre de deux marginaux : Yvan (Bouli Lanners), le solitaire passionné de voitures américaines et Elie (Fabrice Adde), jeune toxicomane paumé, qui tente de cambrioler le premier.

Au lieu d’entrer dans la logique commune qui le conduirait à appeler la police, Yvan décide d’aider, pour un temps, celui qui s’est introduit chez lui par effraction. De fil en aiguille, cette rencontre devient l’occasion pour lui de se venir en aide. Au cours d’un trajet en voiture, ces deux inadaptés vont peu à peu apprendre à se connaître, et cela avec une pudeur rare.

Par quelques regards, quelques expériences insolites partagées, une complicité sincère et simple se crée entre eux, où les mots ne sont pas toujours nécessaires pour exprimer les sentiments.

Si « Eldorado » comporte de nombreux moments d’émotions vraies, ce road movie est aussi empreint d’un humour doux amer. Plusieurs fois, on sourit, et on rit même face à des situations décalées, quelquefois absurdes, reflets de cette Wallonie des chemins de traverses peuplées d’êtres originaux, doucement fous, voir totalement frappés.

Chacun de ces personnages, au-delà d’engendrer des instants titillant le coin de nos lèvres, permettent aux deux héros d’avancer sur la route qu’ils suivent comme sur le chemin de l’acceptation d’eux-mêmes.

Esthétiquement, le réalisateur opère des choix originaux et intimes. L’omniprésence de cadrages singuliers, semblant être pris du siège arrière de la voiture, offre le point de vue dont on jouit lorsqu’on pose la tête contre la vitre du véhicule et qu’on lève les yeux vers le ciel.

Les maisons, les fils électrique défilent alors, et l’on se croit projeter des années en arrière, alors qu’enfant, on passait le temps de voyage trop long en rêvassant sur ce décor mouvant. Il y a aussi les ciels de Bouli Lanners.

Ces horizons peuplés de nuages. Une immensité de paysages, du bleu et du vert à perte de vue, emplissant l’écran. Ils étaient déjà présents dans « Ultranova », on les retrouve dans « Eldorado ». On perçoit à nouveau ce décor où il n’est pas question de grisaille, encore moins de vues ternes. La terre wallonne se fait lumineuse et diverse.

Et si le mouvement est au centre du film de par l’aspect originel de parcours qui le caractérise, on y trouve aussi plusieurs moments de stase. Des arrêts où les protagonistes se posent, et où la caméra les capte, immobilisés mais pas pétrifiés. L’intensité de l’arrêt s’inscrit dans des plans larges majestueux, où le loufoque rencontre le sincère.

Souvent, ces images sont accompagnées d’une bande sonore dense et forte. Après avoir choisi des sons plutôt électroniques pour son premier long métrage, Lanners opte cette fois pour un registre musical Rock et Folk. Dès les premières images d’ « Eldorado », des riffs de guitare colorent l’image sombre d’Yvan au volant de sa Chevrolet.

Elles reviendront teinter le film entier de leur dimension enivrante. En contraste avec le paysage campagnard et dépeuplé, ce contrepoint sonore apporte une richesse à l’image, un aspect dynamique et entêtant.

C’est donc une vision éminemment personnelle et poétique que nous livre Lanners dans ce film. « Eldorado » plaît par son aboutissement esthétique, comme il touche par son histoire pudique et déjantée à la fois. Si le film ravit parce qu’il confirme la santé du cinéma belge, il réjouit surtout en ce qu’il témoigne (si cela était encore nécessaire) du talent de son réalisateur. 

(Justine Gustin)