Plus qu’un western
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Coup de coeurTHE ASSASSINATION OF JESSE JAMES BY THE COWARD ROBERT FORD

Andrew Dominik (USA 2007 - ditsributeur : Warner Bros)

Brad Pitt, Casey Affleck, Sam Shepard, Mary-Louise Parker

155 min.
17 octobre 2007
THE ASSASSINATION OF JESSE JAMES BY THE COWARD ROBERT FORD

Le titre, ample comme une nouvelle de Jim Harrison, est à l’image du beau film d’Andrew Dominik. Sombre, lyrique et efficace, languide et puissant, il est à la fois un regard sur la relation qu’un homme entretient avec lui-même et avec les autres. Et à travers celle-ci sur la relation que l’Amérique entretient avec l’âme de ses mythes.

Parodiant ce que disait Fritz Lang à la sortie de son « The big heat » : " Les films policiers ne sont pas que des films de gangsters "(*), il est évident que les westerns, du moins les meilleurs d’entre eux - on pense à « Unforgiven » de Clint Eastwood ou « Man without a star » de King Vidor - sont bien plus que des « gestes » qui ont pour cadre l’Ouest américain.

Le 3 avril 1882, Jesse James, que certains journalistes ont l’inconscience de surnommer le « bien-aimé » (**), est assassiné. D’une balle dans la tête tirée, alors qu’il lui tournait le dos, par Robert Ford, la plus jeune recrue de la bande de malfaiteurs avec laquelle, en l’espace de quinze ans, il pilla onze banques, attaqua sept trains postaux et onze diligences et commit seize meurtres.

Le propos du film est moins de s’attarder sur cet aspect de bandit de grands chemins - quoique
l’attaque d’un fourgon blindé, annoncé par le léger tremblement des cailloux qui jouxtent la voie ferrée soit un moment de grande intensité dramatique - que de révéler la schize dans la vie d’un homme qui, en même temps qu’il s’affirme comme un brutal chef de bande, vit une vie presque bourgeoise avec femme et enfants.

Personnalité divisée mais aussi personnalité mélancolique, portant comme un portefaix fatigué un passé qui le suffoque et le plonge dans des crises de démence furieuse. Au point de susciter dans l’esprit du spectateur la prégnance d’un questionnement dérangeant : Jesse James s’est-il laissé assassiner ? A-t-il, par sa conduite complice, facilité le geste de son meurtrier ? Cet assassinat serait-il un « hétéro suicide », c’est-dire un suicide souhaité mais commis par quelqu’un d’autre ?

En d’autres termes Robert Ford est-il comme le proclame le titre, conforme à l’opinion de la presse de l’époque (***) et aux chansons populaires, un lâche, un Judas ? Ou simplement un bras armé par une volonté qui, malgré l’attrait de la prime de 5.000 dollars, n’est pas entièrement la sienne ?

C’est là l’enjeu subtil d’un film qui cesse d’être un western, même s’il en garde la sauvagerie, les repères et notamment les magnifiques paysages, pour devenir un face-à-face entre deux hommes.

Ce qu’on appelle le duel final dans les classiques que sont « The big country » de William Wyler ou « The man who shot Liberty Valance » de John Ford est, ici, une confrontation qui rappelle la théorie du Maître et de l’Esclave d’Hegel.

Entre Jesse James, le mentor adulé et Robert Ford, le disciple complexé, va s’installer un jeu pervers qui parfois, notamment dans les jeux de miroir et d’appropriation des vêtements de la personne admirée, fait penser à la relation trouble de Matt Damon et Jude Law dans « The talented Mr.Ripley » d’Anthony Minghella.

Andrew Dominik, interrogé par Gaël Golhen, dans le magazine « Première » d’octobre 2007 souligne qu’il « voulait que son film relève d’une exploration de l’Amérique et de sa psyché ».

Mission réussie quant à l’intelligent nouage qu’il tisse entre les forfaits de James et la tolérance dont il a bénéficié de la part des autorités des Etats Sudistes qui voyaient dans ses exactions une prolongation des causes défendues durant la Guerre de Sécession.

La scène au cours de laquelle les bandits se couvrent le visage non pas de foulards mais de tissus blancs qui évoquent les capuches d’un Ku-Klux-Klan en pleine expansion fait, mieux et plus fort que bien des discours, écho à des défaites qui sont loin d’être acceptées.

Certains trouveront que le film est un peu long. D’autres comprendront que le raccourcir n’aurait pas permis, avec la même qualité, d’installer le délabrement psychologique de James, faille dans laquelle Ford s’insère pour y déployer, énigmatique sourire aux lèvres, son sentiment d’être un raté, un bon à rien.

Brad Pitt et Casey Affleck sont épatants. Le premier a reçu, pour son rôle, le prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise.

L’un et l’autre sont soutenus, dans la justesse harmonique de leur jeu, par une mise en scène qui a quelque chose de la « Pavane pour une infante défunte » de Ravel. Mais au lieu d’avoir leurs propres accords de notes, ils ont leurs propres tonalités de décors.

Des ciels noirs à la traîne (comme chez Füssli), de la neige crissante (comme chez les frères Coen ***) et des champs de blés (comme chez Terrence Malik) pour Pitt.

Pour Affleck, des intérieurs confinés, un fondu impressionniste des bords de cadres et des nuages qui lardent l’azur du firmament afin de souligner ses ambigüités et hésitations.

Dans ses mémoires, Jesse James écrit « All the world likes an outlaw. For some damn reason they remenber ‘em  ».

La preuve : Flagey propose dans « The long riders » de Walter Hill et ce jusqu’à la fin du mois d’octobre 2007, une variation, diantrement plus énergique, du personnage. Et pour quinze jours encore, la chaîne câblée « Cine Cinema Classic » projette, en horaire zigzagant, le film de Philip Kaufman « The great Northfield Minnesota raid ». (m.c.a)

(*) propos de 1953 rapporté par le quotidien « Libération » du 29 juillet 1993
(**) étrange phénomène de prise de position quasi affectueuse à l’égard d’un tueur qui transcende les époques. Il suffit de se souvenir de l’hystérie d’héroïsation autour de Che Guavara qui sévit toujours de nos jours.
(***) dont le chef opérateur, Roger Deakins, signe la photo de « The assassination… », film largement inspiré par le roman éponyme de Ron Hansen édité chez Buchet/Chastel.