Coup de coeur
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Coup de coeurCEUX QUI RESTENT

Anne Le Ny (France 2007 - distributeur : Cinéart)

Emmanuelle Devos, Vincent Lindon

95 min.
5 septembre 2007
CEUX QUI RESTENT

Les brèves rencontres amoureuses connaissent rarement une fin heureuse (*).

C’est sans doute pourquoi elles ont ce quelque chose qui coince le cœur et fait pester contre la vie et ses contraintes. Contraintes du monde extérieur mais aussi entraves mystérieuses secrétées par ceux qui sont bien en peine de se souvenir « qu’il n’y a pas de honte à préférer le bonheur » (Camus)

C’est bien de ces mystères, intimes et insaisissables, qu’est tissée l’histoire de Bertrand et de Lorraine. Il est marié avec une femme qu’il soutient depuis cinq ans dans un combat contre le cancer. Elle vient d’apprendre que son compagnon pour vaincre « le crabe » doit subir une opération qui le laissera lourdement diminué.

Anne Le Ny a l’élégance de ne jamais appuyer sur le pathétique d’une situation qui a donné, au cinéma, sa dose de clichés tire-larmes. A l’aria de la Callas qui épouse sans pudeur la fin de vie mélodramatisée de Tom Hanks dans « Philadelphia », elle préfère la douceur nostalgique du « Where or When » de Bryan Ferry.

A la conduite normative attendue de ceux qui accompagnent les malades, elle substitue deux réactions individuelles dont l’humanité souvent maladroite déchire et donne envie de pleurer.

A petits points serrés de tendresse et de retenue, « Ceux qui restent » racontent, avec des mots de tous les jours, simples et concrets, la fatigue, le désarroi, l’impuissance, la colère des vivants. Ceux qui doivent tenir debout pour soutenir ceux en train de partir.

Ils racontent aussi le désir d’une jeune femme de ne pas s’enliser dans le morbide et d’affronter par une parole salutaire, incongrue et vraie - une parole qui sonne juste - les contradictions et les difficultés à vivre le quotidien d’une maladie qui fait peur.

A la culpabilité de Lorraine de ne pas se sentir à la hauteur de circonstances qui demandent dévouement et compassion, répond celle de Bertrand estampillée par ce non-dit social qui veut que tomber amoureux, pendant que sa femme est en traitement oncologique, soit un interdit.

Ils vont s’aimer. Deux fois. Le temps pour eux de s’apaiser et de se réconforter. Le temps pour le spectateur de se demander si cet insert de tendresse n’est pas le reflet des deux forces qui mènent l’existence - la pulsion de vie toujours montrée en champ et celle de mort suggérée en hors champ - et dont on ne sait jamais laquelle subjuguera l’autre.

Film grave, touchant, parfois même bouleversant, « Ceux qui restent » est magnifiquement interprété par deux acteurs, qui avaient déjà eu l’occasion de s’apprécier dans « La moustache » d’Emmanuel Carrère mais qui ici, donnent aux mots délicatesse et émotion, la résonnance et la cadence de l’exceptionnel. (m.c.a)

(*) David Lean « Brief encounter », « Ryan’s daughter » ; Bo Widerberg « Elvira Madigan »

CinéFemme a rencontré, lors de leur passage à Bruxelles, Anne Le Ny et Emmanuelle Devos. restent". Nos entretiens sont à lire en onglet "interviews".