Chef d’oeuvre
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

NE TOUCHEZ PAS A LA HACHE

Jacques Rivette (France 2007 - distributeur : Cinéart)

Jeanne Balibar, Guillaume Depardieu, Bulle Ogier, Michel Piccoli

137 min.
13 juin 2007
NE TOUCHEZ PAS A LA HACHE

Le Lagarde et Michard au Vendôme. Deux des plus grandes plumes du XIXème, aux cimaises du même cinéma bruxellois, c’est une orgie textuelle rare.

Barbey d’Aurevilly et sa lecture de « Une vieille maîtresse » par Catherine Breillat et maintenant Balzac et son adaptation par un Jacques Rivette au meilleur de son intelligence cinématographique.

Ce franc-tireur de la Nouvelle Vague est, depuis toujours, amoureux de la littérature exigeante et romanesque (« La religieuse » de Diderot, « Hurlevent » d’Emily Brontë ). Il sait la fascination qui peut unir deux êtres et n’a jamais craint de l’explorer, parfois jusqu’au délire (« L’amour fou »).

Dans « Ne touchez pas à la hache » il retrouve un écrivain dont il s’est déjà inspiré dans « La belle noiseuse » (*). Rivette réussit le pari de rester au plus près de la limpidité d’une langue qu’il choisit d’araser de toutes considérations anecdotiques pour ne pas détourner l’attention de l’enjeu essentiel de son propos : la description d’une passion à contretemps.

En obsédé littéral, il l’empoigne le récit balzacien avec une intensité qui, comme le ferait le diamant bien taillé d’une vitre, raye l’écran d’une force souvent cruelle.

On comprend aisément que « La duchesse de Langeais », deuxième roman d’une trilogie parue sous le titre de « Histoire des treize » ait séduit Rivette. Cette histoire compliquée et brûlante d’une coquette qui, après s’être refusée au nom des convenances, tombe amoureuse de son prétendant, rejoint l’intérêt que le cinéaste à toujours montré pour l’essence des êtres.

Elle lui donne aussi l’occasion d’offrir à Jeanne Balibar, qu’il avait déjà dirigée avec une originale pétulance dans « Va savoir », un rôle majeur. Avec une grâce déclamatoire - à la Delphine Seyrig -, un art fébrile de porter la toilette, et un faux naturel durassien attendri par un éclairage a giorno, elle compose un portrait incandescent d’une femme dont on ne sait si elle se refuse par froideur, calcul ou bienséance.

A ce jeu pervers, Guillaume Depardieu oppose une fierté rude qui lui permet de renouer avec une profondeur qui l’avait déserté.

Récit tragique d’une passion mal rythmée, « Ne touchez pas… » est aussi une brillante reconstitution d’époque. Pas par son faste mais par son sens minutieux du décor qui privilégie l’acuité du regard sur les objets du passé.

Les scènes qui réunissent les personnages principaux ou ceux interprétés par Michel Piccoli et Bulle Ogier, ont quelque chose de cette proximité distante qui caractérise la représentation théâtrale.
Elles rendent, par un contraste recherchée, plus violentes les sorties extérieures et notamment
l’escapade à Majorque qui souligne, par son soleil implacable, les frustrations d’une duchesse, les humeurs ombrageuses de son amant et l’hypocrisie d’une époque, la Restauration.

Dédiée à Franz Liszt, l’œuvre de Balzac a quelque chose de la flexibilité enfiévrée de ce musicien.
Placé sous l’évocation de la décapitation à la hache du Roi d’Angleterre, Charles 1er, le film
a cette force abrupte et sans rémission des désirs amoureux qui tuent d’avoir été tus. (m.c.a)

(*) adaptée avec bonheur du « Chef d’œuvre inconnu ».

_