Film de guerre
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LETTERS FROM IWO JIMA

Clint Eastwood (USA 2006 - distributeur : Warner Bros)

Ken Watanabe, Kazunari Ninomiya, Shido Nakamura

142 min.
21 février 2007
LETTERS FROM IWO JIMA

Iwo Jima : île du Pacifique occidental sur laquelle les Américains débarquent le 19 février 1945 et dont ils font la conquête après un mois de lutte acharnée contre l’armée nippone. Vainqueurs, ils l’utilisent comme base pour leurs attaques aériennes massives contre l’ennemi. Ils attendront 1968 pour la restituer au Japon.

C’est ainsi que Michel Mourre, dans son dictionnaire de l’histoire universelle (*) raconte avec la distance et l’impersonnalité voulues de l’historien, l’un des épisodes les plus sanglants de la passion des hommes pour la guerre.

Clint Eastwood s’empare du même événement non pas pour le mettre en mots mais en émotions mesurées qui replacent l’homme au centre d’un questionnement dont il est souvent dépossédé
au profit de réflexions politiques ou stratégiques qui le dépassent.

Ici on ne s’interroge pas sur le sens historique d’un conflit, on l’aborde du point de vue de ceux qui
ne l’ont mené que parce qu’ils devaient le subir.

Qu’ils s’agissent des Américains (dont le point de vue constitue le premier volet du dyptique eastwoodien « Flags of our fathers ») ou des Japonais, la prise de position du cinéaste reflète le même respect pour les combattants et la même humanité envers ces militaires qui essayent d’en tuer d’autres envers lesquels, en d’autres circonstances, ils auraient pu se montrer amicaux.

Alors que « Flags of our fathers » donne l’impression de se dissiper dans deux plans de lectures - celui des combats sur l’île et celui de l’hypothétique mise en scène de la célèbre photo prise par Joe Rosenthal (**) - « Letters … » frappe par son propos concentré magnifié par une mise en scène à la fois humble et ample et des acteurs jouant avec sobriété et tact.

Clint Eastwood est un cinéaste qui partage avec le bambou un point commun, celui de la souplesse qui lui permet de présenter la guerre du point de vue de l’adversaire sans jamais tomber dans les travers de l’apitoiement, de la culpabilité ou du panache. Il filme l’ennemi avec l’audace tranquille de ceux qui ont roulé leur bosse et médité sur les grandeurs et décadences de la condition humaine. Comme l’avait fait, avant lui, John Ford dans un de ses chefs-d’oeuvre "Cheyenne autumn".

Film courageux certes, « Letters » est avant tout un cri, désolé mais tenace, de constatation - plus que de dénonciation - de cette folie collective et sauvage qui s’empare des hommes et les pousse à s’entre-tuer pour le contrôle d’un bout de territoire.

Saluons le travail de Tom Stern, le directeur de la photographie, qui a su donner à la cruauté cette couleur exsangue qui ressemble à celle de la mort lorsqu’elle rôde pour prendre la place de la vie.

Les lettres d’Iwo Jima, écrites par les Japonais durant le siège de l’île, comme celles de Stalingrad (***), écrites par les Allemands dans les derniers jours de la bataille du même nom, ou encore celles des Français durant la guerre 1914-1918 ou des Américains l’été du Débarquement en 1944, ont ce point commun, fait d’amour et d’effroi partagés, de rappeler que, dans la fièvre et la peur, les hommes ont les mêmes mots simples et déchirants pour dire leurs souffrances.

Quel dommage que, d’un conflit à l’autre, cette évidente fraternité soit si souvent oubliée. (m.c.a)

Ceux que le travail de Clint Eastwood intéresse, liront avec attention le long entretien accordé par l’auteur au magazine Positif de ce mois de février 2007.

 
(*) Ed. Bordas
(**) pm ce cliché représente six soldats plantant le drapeau américain au sommet du mont Suribachi. Trois de ces hommes sont rapatriés pour participer à la campagne publicitaire de levée de fonds pour un emprunt national, pendant que leurs amis continuaient, avec leurs unités, le carnage in situ

(***) lues et mises en scène par Laurent Terzieff