Docu-reportage
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SALONIQUE

Maurice Amarragi (Belgique 2005)
52 min.
26 avril 2006
SALONIQUE

Cet intéressant documentaire est un témoignage précieux contre un oubli systématiquement organisé pour éradiquer, de la 2ème plus grande ville de Grèce, ses traces juives.
Au point d’en transgresser le respect naturellement dû aux morts en détruisant le cimetière juif pour y construire une université, créant ainsi une situation inextricablement aporétique puisque le fondement de ce haut lieu de la mémoire historique repose sur une volonté de sceller une partie du passé de la ville.

Situation ô combien absurde mais hélas répandue si l’on se souvient que bons nombres d’édifices publics américains reposent sur des cimetières indiens profanés.

Maurice Amarragi, né dans cette ville et émigré depuis en Belgique, décide d’y revenir pour évoquer, avec ceux qui y vivent encore, l’histoire de ce qui fut, quoique sous occupation ottomane pendant 5 siècles, un des centres les plus florissants du judaïsme oriental.

Avec à la fois une précision de documentaliste qui le rend proche de Jean-Christophe Victor dans son érudite émission « Le dessous des cartes » et une fluidité accessible dans le discours, le réalisateur arrive à arracher aux murs encore debout et aux survivants-de-l’époque-d’avant de quoi refuser la linéarité d’une histoire qui souhaite faire fi de ses violences, de ses chaos, de ses tragédies (l‘essentiel de la communauté juive de la ville a été persécutée par les nazis et déportée durant la Seconde Guerre Mondiale )

Les Grecs de Salonique, dans leur volonté d’helléniser la ville, au début des années 1900, ont entrepris d’effacer de sa mémoire sociale, culturelle et économique l’importance de la présence des Juifs Sépharades (*) qui y avaient longtemps trouvé un lieu d’accueil lorsqu’ils étaient chassés de Venise, d’Espagne ou du Portugal.

A peu près à la même époque, les Grecs d’Anatolie étaient chassés par les Turcs soucieux d’ottomaniser cette région. C’est ce que rappelle ce beau film de Yesim Ustaoglu « En attendant les nuages » et c’est ce qu’il est bon de se rappeler en regardant « Salonique » afin d’insérer ce documentaire dans la marche infernale de l’Histoire qui fait du même peuple, dans sa frénétique quête d’identité nationale, tantôt un bourreau tantôt une victime.

Exception culturelle au début du siècle précédent, Salonique par son foisonnement de races, de langues, de cultures, de religions était une sorte de tour de Babel et chacun sait que celle-ci bénéficie rarement de la clémence de Dieu et des hommes.

Il est utile qu’un cinéaste courageux nous le remémore et inverse ainsi la tendance à occulter la réalité de l’histoire vécue au profit d’une histoire re-créée. (m.c.a)

(*) et dans une moindre mesure celle des Turco-Musulmans