Comédie politique
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LE CAIMAN

Nanni Moretti (Italie 2006 - distributeur : Paradiso Filmed Entertainement)

Silvio Orlando, Jasmine Trinca, Margherita Buy, Nanni Moretti

112 min.
24 mai 2006
LE CAIMAN

Dès son premier long métrage « Je suis un autarcique » (1976) Moretti a reconnu faire « du cinéma pour exorciser ses obsessions ».

Parmi celles-ci sa détestation de Sylvio Berlusconi qui, déjà amorcée dans « Aprile » se poursuit dans « Le Caïman » sur le ton d’une diatribe dont le militantisme n’exclut pas un brin de mélancolie

Restant fidèle au principe de la mise en abyme « du film dans le film » - dans « Aprile » c’était une comédie musicale - Moretti met en scène dans « Le Caïman » Bruno, un ex producteur (*) de nanars qui décide de réaliser un film dont il n’a pas lu le scénario – allusion à l’électeur qui a voté pour Il Cavaliere en se méprenant sur la réalité de son programme politique ?

Le regard de Moretti, s’il est sans concession pour l’ensauvagement culturel de l’Italie berlusconisée se radicalise encore lorsqu’il évoque le monde de la réalité commerciale du cinéma qui favorise les mises en scène crétinisantes au détriment d’œuvres qui pourraient amener le spectateur à la réflexion, toujours dangereuse par la potentialité de critique qu’elle recèle.

Est-ce parce qu’il s’intéresse aux rapports entre le cinéma et la psychanalyse - en effet Bruno dans le cadre d’un séminaire sur ce thème est invité à y envoyer son « Maciste contre Freud » - que Moretti a choisi d’incarner le personnage du Caïman scellant ainsi l’identité de rapport entre l’animal qui avale sa proie pour l’achever et le metteur en scène qui s’identifie à son ennemi pour en désamorcer la puissance ?

Œuvre polémiste certainement mais qui va bien au-delà - car sinon quel intérêt présente-t-elle depuis la défaite de Berlusconi aux élections d’avril 2006 ? - de l’attaque contre un homme politique, « Le Caiman » peut être lu comme un film sur la perte d’amour, à l’image de celle du couple de Bruno en train de divorcer, d’un peuple pour un dirigeant qui l’a grugé et sur celle d’un public pour un cinéma médiocre auquel la loi du marché télévisuel veut l’assujettir.

Moretti encore une fois a réussi, même si c’est de façon moins éclatante que dans ses autres films, comme ses aînés – Rossellini, Rosi – et certains de ses contemporains (Calopresti, Giordana), à allier ses engagements idéologiques à ses propres interrogations existentielles (notamment sur la paternité)

La cohérence de son œuvre, sa liberté d’esprit en font le centre de gravité d’un cinéma auquel il est bon de se frotter pour garder en mémoire la nécessité d’un cinéma engagé, intelligent et sensible. (m.c.a)

(*) interprété par Silvio Orlando, le magnifique « Porte Serviette » de Daniele Luchetti.