Chronique sentimentale
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L’AVENIR

Mia Hansen-Løve

Isabelle Huppert, André Marcon, Roman Kolinska, Edith Scob

100 min.
6 avril 2016
L'AVENIR

Nathalie (Isabelle Huppert) est professeur de philosophie et s’adonne à l’écriture en marge de son activité d’enseignante. Viscéralement passionnée par son travail, elle aime par-dessus tout transmettre son goût de la pensée à ses étudiants et les amener à développer leur sens critique. Mariée, deux enfants, elle partage sa vie entre sa famille et sa mère hyper-dépendante, qui souffre d’une peur pathologique de l’abandon. Parallèlement, elle veille également sur les travaux et les progrès de l’un de ses anciens étudiants, Fabien (Roman Kolinska), dont elle a fait son protégé. Un jour, son mari lui annonce qu’il la quitte pour une autre femme. Un malheur ne venant jamais seul, Nathalie sera confrontée à d’autres difficultés existentielles auxquelles elle fera face avec un pragmatisme lucide et une sagesse toute stoïcienne dénuée de toute réaction passionnelle.

Chronique intime d’une femme dont les repères familiers sont bousculés en cascade, L’Avenir a obtenu l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur à la dernière Berlinale. Une récompense qui, en toute objectivité, semble usurpée : la mise en scène, très classique, ne compte absolument rien d’original ni d’innovant si l’on excepte l’usage métaphorique et symbolique dont la réalisatrice fait de ses décors qu’ils soient intérieurs ou naturels. De l’appartement parisien, refuge cocon de l’intériorité, aux plages de la Bretagne en passant par les forêts vallonnées du Vercors, Mia Hansen-Løve s’efforce en effet de dresser une géographie philosophique où la pensée peut soit prendre le temps de se poser face aux remous de l’existence, soit se dilater librement en prenant la juste mesure de ses hauts et de ses bas, contrairement au sablier du Temps qui, lui, de la naissance à la mort, s’écoule imperturbablement au rythme des saisons.

Si le personnage incarné par Isabelle Huppert fait preuve d’une certaine cohérence (ce qui n’est guère le cas des autres protagonistes), il risque par contre de susciter bien peu d’empathie pour une majorité de spectateurs. Faisant la part belle à une intelligentsia française que d’aucuns ne manqueront pas de qualifier de prétentieuse, la réalisatrice française s’attache en effet à dresser le portrait d’une intellectuelle pour qui la vie de l’esprit est l’un des fondements essentiels d’épanouissement et d’accomplissement. On ne s’étonnera donc guère de sa réaction qui fait fi de tout pathos, lorsque son époux lui annonce qu’il la quitte. Le vide que laisse son mari en emportant la moitié de sa bibliothèque semble bien plus la perturber que sa désertion humaine. Et pour cause, ce couple de complices paraît avoir plus partagé en commun l’amour de la raison pure et l’érection cérébrale que la pratique de l’intelligence érotique. Face à son ancien étudiant qui l’assure qu’elle refera sans peine sa vie avec quelqu’un d’autre, sa réponse fuse avec la force de l’évidence : « J’ai la chance d’avoir une vie intellectuelle bien remplie ; ça suffit à me rendre heureuse ». De Nathalie, il ne faut pas non plus s’attendre à ce qu’elle réinvente drastiquement sa vie suite aux bouleversements qu’elle subit. Si l’idéal communiste a exercé ses charmes dans sa jeunesse, la lecture de Soljenitsyne lui a remis durablement les idées en place en l’amenant à prendre ses distances face à toute idéologie et à douter des vertus fallacieuses de la révolution. Accepter la vie telle qu’elle vient, se laisser bercer par la vague de l’existence plutôt que d’essayer de nager à contre-courant, tel est le crédo que Nathalie à fait sien en tâchant de mettre en adéquation vie et sagesse. Sans doute faut-il y voir là un modèle de liberté selon lequel l’esprit, en se mettant au diapason de la quotidienneté, se délivre de la temporalité des saisons du cœur, de ses affects irraisonnés et de ses passions éphémères. Mais, dans ce cas, que faire du désir ? Faut-il, pour être heureux, bien plus se complaire dans la poursuite de nos désirs que dans leur satisfaction, tel que le défend Rousseau dans Julie ou La Nouvelle Héloïse ? On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux , prétend-il. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas .

On l’aura compris la philosophie est au cœur du film. L’entreprise est certes louable et passe d’ailleurs pour un signe d’intelligence du cinéma français aux yeux d’une certaine presse de l’Hexagone qui se targue avec fierté d’avoir inscrit ses lettres de noblesse au Palmarès berlinois après plusieurs années de disette. Malheureusement, le propos bien qu’intéressant, est dispensé sans distillation et pèche par un trop grand académisme, ce qui risque de laisser totalement hermétiques les spectateurs peu familiers de la discipline philosophique. Si l’on ajoute à ce manque de subtilité intellectuelle, la maladresse récurrente de nombreux dialogues, la grossière caricature de Roman Kolinska en militant altermondialiste, le manque de crédibilité de certaines scènes (tel ce père se voyant mis au pied du mur par sa fille au vue de son infidélité), le cinquième long-métrage de Mia Hansen-Løve a peu de chance de connaître un très long avenir dans nos salles.

(Christie Huysmans)