Drame
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DIFRET

Zeresenay Berhane Mehari

Tizita Hagere, Meron Getnet, Haregewine Assefa

99 min.
24 juin 2015
DIFRET

Dans un village reculé, situé à 3 heures d’Addis-Abeba, Hirut, une jeune fille de 14 ans sort de l’école et se fait kidnapper par des hommes à cheval. Une tradition ancestrale, appelée Telefa , veut que l’homme enlève sa future épouse, et ce, que sa famille ou elle-même consentissent ou pas à ce mariage. Séquestrée, violée, Hirut parvient toutefois à s’échapper non sans s’être emparée d’un fusil laissé par inadvertance par son assaillant. Acculée par son futur époux qui la poursuit, elle lui tire dessus et le tue. S’ensuit un long procès au cours duquel la tenace avocate, Meaza Ashenafi, tentera de plaider sa cause en invoquant la légitime défense.

Inspiré d’une histoire vraie dont les faits remontent à 1996, Difret [1]  a le grand mérite de dévoiler une réalité aussi méconnue qu’effarante et qui concerne 40% des adolescentes en Éthiopie. Même si le film focalise principalement son attention sur la jeune victime, son réalisateur, Zeresenay Berhane Mehari, a l’intelligence de ne pas opposer de manière manichéenne tradition et modernité. En replaçant avec une très grande équité les événements dans le contexte culturel et juridique de l’époque, le cinéaste capte non seulement de façon pondérée les courants de pensée contradictoires qui traversent un pays toujours en pleine transition mais il démontre aussi ô combien l’acharnement de certains est nécessaire pour bousculer l’ordre établi.

En mettant en valeur le combat de deux femmes qui ont permis de faire évoluer les mentalités de manière significative (les enlèvements et les viols sont désormais passibles d’une peine de prison de 15 ans), le réalisateur éthiopien tenait à « sensibiliser les nouvelles générations à une action qui était plus ou moins tombée dans l’oubli, et ce, d’autant plus que le gouvernement actuel est t rès focalisé sur les problématiques liées aux femmes [2] . »   Le pari féministe de Mehari fut gagnant car il obtint le soutien de l’ONU et de plusieurs ONG pour organiser une campagne de sensibilisation au sujet du film, notamment auprès des plus jeunes. On soulignera également que ce film africain a également déjà conquis une partie des spectateurs américains et européens en remportant trois Prix du Public (au Sundance Festival, au Festival de Berlin et au World Cinema Festival d’Amsterdam) [3] .

Même si la mise en scène innove peu et accuse quelques petites maladresses, le scénario de Difret demeure captivant, et la problématique qu’il soulève mérite indéniablement que l’on s’y intéresse.

(Christie Huysmans)


[1] Le titre du film a une double signification en Amharique, la première langue de l’Éthiopie. Dans son usage commun, il signifie « courage » et « oser ». Mais il peut aussi faire référence au mot « viol ». 

[2] Les recherches et l’écriture de Difret ont duré trois ans. Signe d’une évolution positive, le réalisateur n’a rencontré aucune difficulté à se documenter sur le sujet : « Les différentes administrations et ministères m’ont ouvert leurs portes et autorisé à consulter tous les documents dont j’avais besoin, y compris les rapports judiciaires. »

[3] Difret s’est également vu décerner une Mention Honorifique dans le cadre des Cyprus Film Days 2015 « pour avoir porté à l’écran une histoire puissante qui aborde un sujet exceptionnel ».