Drame
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

A TOUCH OF SIN

Jia Zhang-Ke

Jiang Wu, Wang Baoqiang, Zhao Tao, Luo Lanshan

133 min.
11 décembre 2013
A TOUCH OF SIN

Violent. Sans concession. Sans espoir. Tel est le tableau de la Chine contemporaine que Jia Zhang-Ke dépeint à travers quatre personnages issus de quatre provinces différentes. Dahai, mineur écœuré par la corruption des dirigeants de son village, décide de passer à l’action après avoir subi l’humiliation de trop. Rares seront ceux qui échapperont au carnage. San’er, travailleur migrant, trompe l’ennui en découvrant les possibilités infinies de son arme à feu. Ses crimes sont commis sans aucune once de pitié et quasi par pure gratuité. Xiaoyu, hôtesse d’accueil dans un sauna, est poussée à bout par le harcèlement d’un riche client. Xiaohui, jeune homme sans grandes qualifications professionnelles, passe d’un travail à un autre dans des conditions de plus en plus dégradantes et désespérantes.

De l’humiliation naît la colère, qui elle-même se mue en rage, laquelle engendre à son tour violence et mort. Tel est le cercle pervers qui étrangle la destinée de ces quatre protagonistes qui se croiseront par un jeu subtil de passerelles indirectes. Ce réseau d’entrecroisements rejoint d’ailleurs l’idée taoïste que « chaque vie est reliée, même à son insu, aux autres vies » [1] .

Inspiré de faits divers incroyablement violents et sublimés par la fiction, A Touch of Sin [2] n’épargne aucun des travers de la transformation (trop) rapide de la Chine : corruption, écart grandissant entre pauvres et nouveaux riches, urbanisation massive, industrialisation outrancière, perte des repères traditionnels, injustice sociale, réification de la femme à travers la prostitution, migrations intérieures, passage du collectivisme à la conscience individuelle, recours accru à la brutalité… 

En embrassant les maintes facettes de ce grand pays toujours en pleine mutation, le réalisateur, Jia Zhang-Ke voulait, à l’instar des peintres classiques traditionnels, dresser un panorama général de la Chine tout en posant la question de la révolte violente non seulement en tant que sujet politique mais aussi en tant que problème inhérent à la nature humaine. Le but est atteint mais le constat et les moyens déployés ne plairont certainement pas à tout le monde. (Âmes sensibles s’abstenir !) 

« C’est ayant tué la colère qu’on peut dormir en paix », défend Boudha. « Savoir endurer un moment de colère c’est s’épargner un siècle de regrets », dit un proverbe chinois. Voilà deux conceptions qui se défendent mais quelle voie choisir, quelle voix écouter pour sauvegarder sa liberté individuelle au sein d’un environnement social hostile ? Jia Zhang-Ke a l’intelligence d’exposer la question à travers l’expression la plus radicale de la colère, à savoir la violence, mais il se garde de porter un jugement unique et radical tant les ressorts de la révolte individuelle sont complexes.

(Christie Huysmans)


[1] Cfr. Cinq méditations sur la beauté de François Cheng.

[2] A Touch of Sin , qualifié par certains de « Pulp Fiction chinois » a été couronné du prix du meilleur scénario au Festival de Cannes 2013 et a reçu le prix Georges Delerue (meilleure musique) au dernier Festival de Gand. Le titre anglais du film est un hommage au film de King Hu de 1975 A Touch of Zen