Adaptation d’un livre
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LA FOLIE ALMAYER

Chantal Akerman (France/Belgique 2011)

Aurora Marion, Stanislas Merhar, Marc Barbé

130 min.
29 février 2012
LA FOLIE ALMAYER

Si avoir une chimère n’est pas un signe de folie, la poursuivre envers et contre tout n’est certainement pas l’indice d’un équilibre mental et émotionnel.

Quelque part en Asie du Sud-Est dans les années 1950, en lisière d’un fleuve et prisonnier d’un climat cinématographiés comme s’ils étaient des personnages à part entière de l’histoire, vit un homme encore jeune.

Almeyer. Il n’a qu’un amour. Celui qu’il porte à sa fille avec laquelle il espère retourner en Europe.

Il n’a qu’une obsession. Celle de prospérités futures auxquels il se contente de rêver.

Echouant à sauvegarder le premier et à donner forme à la seconde, il ne fera rien pour échapper à la folie qui le guette depuis longtemps.

C’est par une de ses particularités, de longs plans séquences (dont certains semblent inspirés du meilleur de Hou Hsiao Hsien ou d’Apichatpong Weerasethakul), que Chantal Akerman va saisir ce lent mouvement du malheur qui s’abat sur un individu peu à peu englué dans un délitement mental avivé par une vie solitaire, languide (le mot travail est-il pour lui à ce point obscène ?) mélancolique.

Malaise métaphorisé, avec une pesante lourdeur, par une nature primitive moite et touffue comme une jungle dans laquelle on se perd aisément.

Lourdeur déroutante pour ceux qui ont toujours apprécié la finesse avec laquelle la réalisatrice réussissait à rendre prégnante la mince frontière qui sépare l’inaction de l’ennui, la contemplation de la névrose, la tristesse de la propension suicidaire.

Il y a dans « La folie… » une sorte de théâtralité, de contrôle permanent qui empêchent les personnages de s’animer. De s’humaniser.

Parce qu’ils ont l’air d’automates déséquilibrés (fors peut-être la jeune Aurora Marion) entre délabrement psychique et raideur physique, leur malheur ne touche pas. Leurs drames laissent indifférents.

Même si en filigrane de ceux-ci s’en dessinent d’autres plus collectifs - le colonialisme, les ravages de la soif de l’or, les déchirements des pères lorsque leurs filles tombent amoureuses, les douleurs d’être métis - les spectateurs peinent à sortir de la torpeur qui s’est emparée d’eux.

Torpeur favorisée par une difficulté à distinguer ce qui ressortit au rêve ou à la réalité, accentuée par l’impression que certains plans flottent comme délestés de toute contrainte de montage, confirmée par un sentiment de confusion qui finit par opacifier le récit et lui enlever la dimension de tragédie du roman de Joseph Conrad dont il se veut une libre adaptation.

L’écrivain a souvent été adapté au cinéma « Apocalyse now » de Coppola, « Gabrielle » de Patrice Chéreau, « Lord Jim » de Richard Brooks, « La ligne d’ombre » d’Andrej Wajda …

Sans doute parce que son art à décrire les perditions, les désagrégations, les trahisons et les culpabilités est aussi évident que fascinant.

Lorsque cette fascination n’existe pas et que l’évidence se complexifie inutilement ne reste que les ombres de destins qui partent à la dérive.

Et ces ombres semblent ici bien artificielles et lentes (127 minutes) à se mettre en place.

A partir du 10 février et pour 4 mois le M HKA à Anvers rend hommage à l’oeuvre de la plasticienne Chantal Akerman au travers de l’exposition "Too far, too close". (mca)