Drame intimiste
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OU VA LA NUIT

Martin Provost (France 2011)

Yolande Moreau, Edith Scob, Pierre Moure, Jan Hammenecker, Laurent Capelluto

105 min.
1er juin 2011
OU VA LA NUIT

La vie est-elle une affaire de vases communicants ? Quand l’un se vide, l’autre se remplit et l’équilibre se rétablit.

Rose est mariée. Mal mariée à un fermier alcoolique et violent. Un jour, il tue accidentellement une jeune femme. Dans un souci de rendre une justice moins clémente que celle des tribunaux, elle décide de l’assassiner.

Elle quitte le domicile conjugal et part rejoindre son fils à Bruxelles dont le cinéaste sait rendre avec poésie et précision le foisonnement multiculturel et la beauté haussmannienne de certains immeubles.

Racontés ainsi, sans entrer dans leur charnu et ambigu, les faits purs et durs pourraient donner à croire que « Où va … » est un thriller - ce qui serait abusivement simplificateur.

En effet cette deuxième collaboration, après « Séraphine » de Yolande Moreau et de Martin Provost est bien plus qu’un croisement, sur un mode plutôt austère, de deux homicides.

Avant tout itinéraire (parfois un peu trop sacrificielle ?) d’une femme blessée et humiliée vers une prise de conscience que la vie n’est pas faite pour être vécue apeurée et à genoux, « Ou va … » est aussi le récit d’une tentative de réconciliation d’une mère et d’un fils que l’agressivité paternelle a peu à peu éloignés.

Yolande Moreau avec la densité et l’authenticité qu’on lui connaît faites à la fois de minéralité et de mystère donne à Rose une présence tragique, prise au piège d’une culpabilité qui ne trouvera à s’apaiser que lorsque son crime sera par elle assumé et par les autres jugé.

« Où va la nuit ? » sinon dans le mur, ce que Saint Jean de la Croix appelle " la nuit noire de l’âme", lorsque la vie est vécue sous les jougs que l’on s’impose ou que l’on accepte.

« Où va la nuit ? » sinon vers le jour émancipateur des cauchemars lorsqu’on devient le sujet de son existence, sans craindre de faire face à la trahison (même si elle vient de son propre enfant), de rencontrer une amitié inattendue (et bienvenue lorsqu’elle a les traits d’une surprenante et toujours filiériste Edith Scob) et d’affronter les conséquences d’un acte que l’on n’avait pas à poser même si les circonstances sont là pour l’excuser

Par un cadrage bien pensé, la chef opératrice Agnès Godard réussit à faire du corps de Yolande Moreau, sorte de magnétique et énigmatique statue de Pâques, une matière vivante, pulsante qui donne au film un rythme et un sens.

Ceux d’une femme qui peu à peu cesse de se fragmenter pour, en un dernier plan éclatant comme celui de Nathalie Baye dans « Le petit Lieutenant » de Xavier Beauvois, rendre la lumière et la gravité du visage de celle qui a compris que la vie se vit frontalement. De face et débout.

S’il est vrai que la musique lorsqu’elle est bien choisie participe de l’intelligence sensible d’une réalisation, on ne peut que saluer la contrainte imposée par Provost au compositeur Hughes Tabar-Nouval de recourir aux ondes Martenot - celles-ci instillant, avec peu de moyens, une angoisse qui déséquilibre autant qu’elle rédime.

« Ou va… » est adapté d’un livre de Keith Ridgway « The long falling », en français « La mauvaise pente ». Prix Fémina étranger 2004 paru aux éditions Belfond. (mca)