Conte existentiel
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Coup de coeurSOMEWHERE

Sofia Coppola (USA 20O0)

Elle Fanning, Michelle Monaghan Stephen Dorf, Chris Pontius

98 min.
5 janvier 2011
SOMEWHERE

"Somewhere … over the rainbow".

Sofia Coppola a un don. Inestimable.

Elle sait, comme Prométhée quand il dérobait aux dieux le secret du feu, extraire du temps qui s’écoule la puissante magie.

Cette magie qui transforme l’insignifiant, le fugace en essence de vie.

Cette vie qui nous constitue et nous reconstitue sans cesse même quand nous trouvons qu’elle n’a plus de sens. Plus de direction.

Et que cette perte de repères nous fait entrer doucement, lentement, douloureusement dans l’antichambre de la dépression. Cette pieuvre sous laquelle s’ensevelissent sentiments et émotions.

Elle a compris que l’art du cinéma a un point commun avec l’art de la pêche : quand on cesse d’agiter l’appât de l’explicatif ou du démonstratif sous le nez du spectateur, les images dévoilent leur hypnotique présence. Les personnages s’ouvrent, comme des fleurs de nénuphars sous les rayons lumineux d’un printemps encore timide.

Emprisonné dans ses chimères inconsistantes, Johnny Marco vit sa vie de star en résidence au Château Marmont, ce haut lieu de la perdition existentielle de ceux qui connaissent la gloire rapide et l’argent facile.

Johnny s’ennuie. Sans conviction, sans but, sans intérêt, il est un fantôme. Un Casper séduisant et souriant - parce que la grimace est moins fatigante que la colère ou l’imprécation. Il n’attend plus rien de lui-même et des autres.

Et pourtant un jour, à la porte du château de ce « Prince au bois (Holly wood ) dormant » frappe une presque jeune fille. Elle a 11 ans et dessine sur le poignet plâtré de Johnny, son papa, ce qui lui manque le plus : un cœur qui bat pour quelque chose ou pour quelqu’un.

Voleuse de mélancolie désenchantée, comme les poètes sont des voleurs d’indicible et les peintres d’atmosphère , c’est par un regard tranquille dont la lenteur devient parfois langueur que Sofia Coppola met à nu la vérité de ceux qui sont en train de s’enliser, presque victimes consentantes, dans un élégant et courtois mal de vivre.

Déjà dans « Virgin Suicides » et plus encore dans « Lost in translation » c’est en s’appuyant sur les fondamentaux de la cinématographie - cadres précis, volonté de calibrer chaque plan comme s’il était unique, sens de l’espace qui structure les personnages - que la cinéaste déploie la grâce énigmatique de sa mise en scène.

Il y a dans cette rencontre entre un père et sa fille (merveilleuse Elle Fanning qui traduit ce no woman’s land mystérieux et fragile qui sépare l’enfant de l’adolescente) un souffle. Quelque chose de la pneuma chère aux Grecs anciens. Portée par une bande son (Gwen Stefani, Phoenix) dont la force n’est pas d’accompagner le récit mais d’être une partie intégrante de celui-ci.

Un souffle qui va redonner à l’un le désir de réinvestir sa vie et à l’autre la volonté de franchir le fil du rasoir de la puberté.

Œuvre légère comme un pétale de sakura, tendre comme un soyeux doudou et pourtant acidulée lorsque la réalisatrice ne se prive pas de porter un regard ironique sur l’hypocrisie et le factice des people du 7ème art et le comique vulgaire d’une certaine télévision.

Œuvre classieuse, classique et secrètement facétieuse - la sonnerie du GSM paternel n’est-elle pas le jiggle de la série-reine des USA des années 1970 "Bewitched" ? - que les âmes rétives au soleil noir de la neurasthénie rimé par Gérard de Nerval pourront trouver artificielle voire maniérée mais que les autres apprécieront pour sa plongée rédemptrice dans les replis inexplicablement marécageux d’une vie, le 4ème film de Sophia Coppola est une gemme pure et bouleversante.

Qui nous laisse submergés par un état de ravissement vague et sans limite.

« Somewhere beyond the sea » (**)

Le film a remporté lors du dernier festival de Venise, à l’unanimité, le prix de la meilleure réalisation. (mca)

(*) mélodie interprété par Judy Garland dans « The Wizard of Oz » et dans laquelle une adolescente espère qu’un jour « Les soucis fondront comme du sorbet au citron » (« Troubles melt like lemon-drops)
(**) un des titres-phares de Frank Sinatra. Chanté aussi par Bobby Darin dans le "Goodfellas" de Martin Scorsese, le rival en genre maffieux de ... Francis Ford Coppola.