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UN AUTRE HOMME

Lionel Baier (Suisse 2009)

Natacha Koutchoumov, Robin Harsch, Bulle Ogier

89 min.
15 septembre 2010
UN AUTRE HOMME

Si une rime devait être trouvée pour qualifier le cinéma hélvétique, « idiosyncratique » ferait l’affaire.

Un cinéma qui a, dans ses glorieuses années balisées par les œuvres d’Alain Tanner, de Claude Goretta, de Michel Soutter, réservé la part belle aux idées de liberté, d’insolence. De pieds de nez à une société bien pensante et bien fric-ante.

Après quelques années d’hibernation (*), il semble renouer avec son goût de la dérision et de la marginalité.

C’est dans cette veine de revival que s’inscrit le troisième long métrage de Lionel Baier.

Qui sait (d’instinct) que pour insuffler de la vie dans un film, il vaut mieux être riche. Non pas riche de moyens financiers importants mais de sensibilité, de spontanéité, d’humour.

Avec « Un autre homme », comme chez Robbe-Grillet, on est dans un processus de « Glissement progressif du désir ».

Désir des corps, filmés ou plutôt chorégraphiés avec amour et sensualité mais aussi désir d’ascension sociale. Au risque de se perdre en se présentant autrement que ce que l’on est.

Le métier de François Robin, le personnage principal d’ « Un autre … » est rarement porté à l’écran -peut-être parce que son influence pose (trop de) question(s) aux réalisateurs. Souvenons-nous des remarques désobligeantes de Roman Polanski lors de sa rencontre avec la presse durant le festival de Cannes 2009.

 

François est critique de cinéma. Pour sa première chronique, ce futur Rastignac doit recenser « Last days » (**) de Gus Van Sant. Son manque de savoir-faire autant que d’inspiration le poussent à piller un article paru dans une revue spécialisée - pratique qui ne fait pas de lui un être « à part » si l’on se souvient de la polémique Attali/Wiesel ou de l’actuel questionnement autour du dernier livre de Michel Houellebecq "La carte et le territoire" : a-t-il ou non plagié des pages de différents sites internet ?.

Mais pratique qui va faire de lui « un autre homme ». Un homme soucieux de quitter son village pour la grande ville (Lausanne), de se défaire de sa simplicité pour endosser les habits du Roi du conte d’Andersen.

Ces habits qui donnent l’impression d’être quelqu’un alors qu’ils ne révèlent que la nudité veule de l’être.

Imposture portée par dualité d’un noir et blanc magnifiques . Sublimés par une mise en scène qui fait penser à celle, sèche et violente, des premiers films de François Ozon lorsqu’il travaillait avec Marina de Van.

« Un autre … » n’est pas un film insouciant. Il a sa part de cruauté qui rappelle que le mythe de Faust est toujours une tentation. A laquelle on succombe d’autant plus facilement que l’on est un être creux, sans avis ni opinion.

Donc aisément subjugable en cas de rencontre avec le diable - en l’occurrence la diablesse Natacha Koutchoumov, l’actrice-muse du réalisateur - au point d’opérer une révolution copernicienne et de devenir une sorte d’anti-soi.

Quelqu’un de moralement moche, de snob et de sottement élitiste.

Le cinéma et son reflet capté par le critique est-il un jeu dangereux ?

Un jeu qui transforme, à force de n’être que dans la représentation de la vie et non dans la réalité de celle-ci, la perception que l’on a des choses, des autres. Et de soi.

Même si rien ne permet d’affirmer qu’ « Un autre … » est un film à clés, on se prend à imaginer qui pourrait être le « candide » délesté au contact d’une presse cynique et intellectualisante (des noms ?) de son naturel. (mca)

 

(*) Fredi M. Murer 

(**) c’est dans ces infimes jeux de rapports contradictoires que se noue, avec finesse et drôlerie parfois amères, le rapport illusoire que le héros va entretenir avec lui même