Vincent Lécuyer

Autour d’un thé en ce mois de novembre venteux, Vincent Lécuyer raconte son parcours d’artiste, de la France vers Bruxelles, de la télévision vers le cinéma, en passant par le théâtre, de sa profession d’acteur à son travail d’écriture. C’est l’opportunité de découvrir le point de vue éclairé et attentif de ce comédien sur le monde culturel belge. C’est aussi l’occasion de revenir sur le trajet d’une figure à la fois connue et discrète du paysage artistique de notre plat pays. (Justine Gustin)

(Cinefemme - CF) Peux-tu me décrire ton parcours, ton trajet vers la Belgique ?
(Vincent Lécuyer - V.L.) Oui, effectivement, je suis français. J’ai fait des études de théâtre à Nantes. Parallèlement, j’étais à la faculté de Nantes, en Lettres, où j’ai été diplômé. C’était plus pour faire plaisir à mes parents, pour pouvoir faire à côté ce que je voulais. Quand j’ai eu fini le conservatoire, j’ai passé pas mal de concours en F rance et en Belgique. Je n’ai été pris à aucun concours en France, par contre, j’ai été accepté au concours du Conservatoire de Bruxelles.
Depuis lors, je suis resté à Bruxelles, puisque après le conservatoire, j’ai eu pas mal de chouettes propositions qui se sont enchainées. Et voilà, je suis encore là…

(CF) C’est donc pas un choix délibéré de vivre à Bruxelles.
(V.L.) Non. Je ne connaissais pas du tout la ville. Je suis venu pour le conservatoire. J’avais aussi la volonté de découvrir autre chose, un autre pays….

(CF) Et qu’est-ce que tu penses de la vie à Bruxelles ?
(V.L.) Je pense que c’est une ville à la fois très vivante et un peu fermée sur elle-même. Il y a beaucoup de communautés, ce qui la rend très dynamique. Et en même temps, il y a un côté dans le renoncement, un désir que les choses ne changent pas, restent telles qu’elles sont. Il y a un côté fermé sur soi-même, malgré tout.

(CF) Ce n’est pas le cas en France ?
(V.L.) La France, c’est différent. Vivre à l’étranger m’a donné un regard autre sur mon pays. La vie en Belgique est culturellement très différente. La France entretient un fantasme de grand pays, une sorte d’orgueil. Elle garde cette idée de centre du monde, à l’image de son nouveau président.
Pour revenir à la Belgique, je pense qu’il y a des rencontres que je n’aurais pas faites en restant en France. C’est un pôle très central, un lieu de passage, là où la France est très centrée sur elle-même. Ici, il y a la possibilité réelle de rencontrer des gens.

(CF) Par rapport à ta profession d’acteur, ton lieu de vie à forcément influencé ta carrière…
(V.L.) Les possibilités au départ sont plus évidentes ici. On a plus de visibilité en tout cas. A Paris, j’aurais été un acteur débutant perdu dans la jungle de la capitale. Ici, il y a moyen d’investir des petits lieux et d’être visible plus facilement. Il y a aussi une plus grande proximité avec les médias, avec les journaux notamment.
Mais le problème avec la Belgique, c’est qu’elle est limitée. Lorsqu’on a atteint un certain niveau, on bloque. L’émulation y est complexe. J’ai l’impression que tout le monde est toujours à zéro, qu’il faut remettre les choses en route constamment. Il n’y a pas de star, pas des gens vraiment privilégié finalement… Il y a un moment de saturation.

(CF) Après le conservatoire, qu’est-ce qui s’est passé pour toi ?
(V.L.) J’ai fait l’émission « Hep Taxi », en continuant parallèlement le théâtre. Je me suis retrouvé là bas par casting, et j’ai été pris. Je me suis demandé à l’époque si c’était vraiment mon métier… Ce n’était pas vraiment mon univers, je me suis beaucoup interrogé pour savoir si j’allais m’y retrouvé. Ca avait un aspect plus journalistique, je voulais rester comédien…. Et puis je l’ai fait, en apportant cette dimension de comédien, ce qui, je crois intéressait la RTBF. J’avais pris le parti d’être vraiment le taximan, tout en discutant avec les gens assis dans ma voiture. J’avais des thèmes à respecter, mais c’était relativement libre.

(CF) A postériori est-ce que tu regrettes cette expérience ?
(V.L.) Non, ça m’a appris beaucoup de choses. Et puis cela m’a permis de rencontrer une très chouette équipe de travail. Des gens motivés et passionnés.
Cela dit, je m’interroge si cela n’a pas un peu brouillé les pistes en termes de l’image que je véhiculais. Mon image est du coup forcément marquée par cette expérience, et je le sens dans l’esprit des gens.

(CF) Et tu continuais le théâtre en parallèle. Est-ce que c’est ce médium artistique qui t’a motivé à la base à faire le conservatoire ?
(V.L.) Pas uniquement. J’étais autant interpelé par le théâtre que par le cinéma. Mon premier professeur de théâtre à Nantes m’avait dit : « toi, tu es un acteur de cinéma ». Ca m’avait vexé, c’était quand même mon prof de théâtre…. Mais j’aime vraiment les deux.

(CF) C’est complémentaire pour toi ?
(V.L.) Je ne sais pas. Je pense simplement que cela ne s’adresse pas de la même façon aux gens. C’est un autre travail. Il y a une proximité avec tous les acteurs du film –au sens large, techniciens comme acteurs-, une émulation qui est vachement porteuse lors d’un tournage. C’est une belle aventure humaine. Le théâtre aussi, mais de façon tout à fait différente.
Au cinéma, on se met au service de la vision d’une personne, de sa poésie. En tout cas dans les projets que j’ai connus et que j’ai appréciés. Au théâtre, on apporte plus sa propre poésie, je crois… C’est simplement des techniques différentes qui ne touchent pas le spectateur de la même façon.

(CF) Par rapport au théâtre, j’ai lu que tu écrivais aussi…
(V.L.) Oui. Quand on est comédien, on dépend beaucoup du désir de l’autre. L’écriture est un moyen d’être à l’origine des choses.

(CF) Ces textes, tu les as mis en scène toi-même ?
(V.L.)Oui. Je les ais joués aussi, mais là, je crois que c’était trop. La mise en scène, c’était l’envie de faire tout, de réussir à être à tous les niveaux de la constitution d’une pièce.

(CF) Est-ce que ça pourrait devenir une fin en soi pour toi, l’écriture théâtrale ?
(V.L.) Oui, pourquoi pas. Ce n’est pas forcément une logique en soi. Disons que pour l’instant, le côté de la barrière que je connais le mieux, c’est celui du jeu. Les expériences de mise en scène que j’ai eues sont quand même très fragilisantes. Le jeu entraîne aussi une certaine fragilité, mais c’est une fragilité que j’assume et que je maitrise. Se mettre en fragilité dans la mise en scène est quelque chose de compliqué. C’est l’idée de prendre le pouvoir…. Et je crois que je ne sais pas très bien le faire. Soit on est du côté du pouvoir, soit de l’abandon. Je crois que c’est vraiment deux aspects très différents.

(CF) A ton avis, et aux vues de ton expérience, qu’est-ce qui est essentiel dans la mise en scène théâtrale ?
(V.L.) Le plus dure est de ne pas s’encombrer de sentimentalisme. Je ne veux pas dire par là qu’il ne faut pas être doux. Mais il y a des moments où il faut comprendre les priorités, savoir ce que tu as à prendre et ce que tu as à rejeter. Savoir ce qui sert et ce qui est en dehors du travail.

(CF) Comment vois-tu ton parcours d’artistes ? Ta profession même ?
(V.L.) De toute façon, je crois que j’ai eu de la chance. Celle de connaitre de belles expériences, en tout cas au début. D’avoir de belles rencontres aussi, qui m’ont apportés de chouettes projets. Malheureusement, on ne peut pas forcer ce genre de chose. En tant que comédien, tu les attends. Mais elles sont difficilement provocables…

(CF) Crois-tu que c’est particulier à la Belgique ?
(V.L.) Le métier d’acteur en Belgique n’est pas évident parce qu’au bout d’un moment, beaucoup se tournent vers la France. Il reste une fascination pour l’étranger qui fait que le milieu artistique en Belgique manque parfois d’énergie, de reconnaissance suffisante. Comme il y a peu de travail en commun entre cinéma et théâtre.
Il faut aussi être réaliste. Il y a certains impératifs de production, surtout en cinéma, qui font que malheureusement on préfère souvent compter sur les mêmes personnes…

(CF) Quelles sont tes projets actuellement ?
(V.L.) Je vais mettre en scène un spectacle au Riches Claires, « Nuit Blache », que j’ai écrit, avec deux actrices de ma compagnie « Petite Ame ».
Je tourne actuellement dans un documentaire de Didier Seynave, qui parle de la problématique de la frontière.
Puis, j’ai un spectacle de prévu en janvier, « Genèse N°2 », d’un metteur en scène bulgare. Une belle rencontre justement… et une belle aventure. Enfin, j’ai un spectacle prévu en 2009 à l’Atelier 210, avec Georges Lini dans le cadre de son projet ZUT (Zone Urbaine Théâtre, anciennement à Molenbeck), « La fête Sauvage ».
Il y a aussi un film de Fine Troch, « The Unspoken », dans le quel j’ai joué, qui sort en janvier.

(CF) Pas mal de chouettes projets donc… Merci beaucoup !