Quand le réel dissout les bulles de la...

Quand le réel dissout les bulles de la fiction… ou le rendez-vous manqué de CinéFemme et de l’auteur de « Persepolis » (*)

Ce jeudi 14 juin un entretien était prévu entre CinéFemme et Madame Satrapi.
Cette interview, programmée dans la suite d’un grand hôtel bruxellois de la rue Royale, n’eut jamais lieu parce que la veille, de son propre chef et à la simple lecture du planning d’entretiens, Madame Satrapi a refusé cette entrevue au motif qu’elle ne souhaitait pas s’entretenir avec une association de femmes qui pourrait récupérer son message.

Cette attitude sectaire fut confirmée par le producteur du film, Monsieur Marc-Antoine Robert , rencontré par CinéFemme afin de plaider sa cause. Et de manifester son étonnement devant une prise de position inattendue et dont l’intolérance, qui ne repose sur d’autre socle que celle du préjugé et de l’à priori, surprend de la part d’une femme qui a fui un pays - l’Iran - pour ces mêmes raisons de rigidité de pensée et d’intransigeance sans appel.

Cette mésaventure proche de la discrémination laisse perplexe et rappelle que les œuvres d’art - parce que CinéFemme continue à en être convaincue, « Persepolis » la BD et « Persépolis » le film d’animation sont des ouvrages de grande qualité - sont des représentations qui ne permettent pas de transposer ipso facto sur leur créateur les exigences d’ouverture qu’elles véhiculent.

En se refusant à laisser rôder le mot « fatwa » dans un coin de sa mémoire, CinéFemme déplore néanmoins cette exclusion et propose ci-dessous, à la lecture, les questions qu’elle aurait aimé proposer à l’intelligence de Madame Satrapi.

Sait-on jamais, celle-ci peut changer d’avis et revenir sur une « excommunication » décidée un peu trop rapidement et sans s’être donné la peine de visiter un site auquel a été refusé, à la seule lecture de son URL, la qualité de fréquentabilité.

La question préjudicielle, à celles reprises ci-dessous et occasionnée par les circonstances du refus d’entretien est la suivante : Pourquoi, Madame, vous êtes-vous focalisée sur la 3ème syllabe du mot « CinéFemme » au point d’en avoir occulté les deux premières ? En quoi ce simple mot « Femme » vous fait-il peur ?

Une interview de Madame Satrapi est disponible sur le site de sa maison de distribution en Belgique : www.cineart.be

Les questions

Comment qualifier votre collaboration avec Vincent Paronnaud ?(alliance, complémentarité, partenariat, complicité)

Vos techniques graphiques sont très différentes (**). Quel fut votre processus de symbiose ? Un de vous deux a-t-il eu le « final cut » ?

Votre façon simple de donner, par quelques traits (les yeux, les sourcils, la bouche), une juste expression aux émotions, aux pensées et aux attitude, est très efficace.Avez-vous été influencée par le travail des estampistes japonais, flamboyance des couleurs en moins - je pense à Shakaru -ou des maquilleurs Kabuki ?

Votre film, malgré sa singularité bien affirmée, touche à deux universels : celui de l’exil et de celui l’Histoire qui malmène les destinées individuelles. Avez-vous vu le film de Crialese « Golden door » dont la scène du quai a la même force que celle de l’évanouissement de votre mère lors de votre départ pour Vienne ?

Votre compatriote Kiarostami a reçu, en 1997 et à Cannes, la Palme d’Or pourson film « Le goût de la cerise ». Que pensez-vous du cinéma iranien en général et du film « Ten » en particulier ?

Le film d’animation français est en plein renouveau. « Les triplettes de Belleville » de Chomet, « Renaissance » de Volckman. Comment voyez-vous cette évolution ? Quel rôle voudriez-vous y jouer ?

Votre graphisme est qualifié par vous-même de « réalisme stylisé ». Il a aussi, à mes yeux, quelque chose du « réalisme magique » qui permet de transcender la réalité la plus dure. Qu’en pensez-vous ?

Avez-vous la nostalgie du mont Alborz qui hante certains de vos dessins comme le Mont Fuji parcourt les films d’Ozu ?

3 choses séparent votre BD et votre film : les décors, le mouvement, et la musique. Lequel vous paraît le plus décisif ?

Croyez-vous que l’humour soit une façon de se réapproprier un monde dont on n’est pas satisfait ?

Vos projets sont plutôt d’ordre immobile (la BD) ou d’ordre mobile (le cinéma) ?

Vous semblez être un composite d’énergie et de sensibilité. Sont-ce des qualités aisément conciliables ?

Les voix de vos personnages ont été enregistrées en amont des images et de leur montage.Pourquoi ? Est-il exact que Gene Rowlands serait la voix anglo-saxonne de votre grand-mère ?

Celle-ci vous a conseillé en toutes circonstances d’être intègre, digne, et de restervous-même. Avez-vous l’impression d’avoir capté le message ?

Si vous en aviez un à donner à nos lecteurs, quel serait-il ?

Merci Madame Satrapi.

(*) les 4 volumes de la BD ont été réunis en un seul volume broché paru aux éditions « L’association ».
(**) les BD de Winshluss (le pseudo de V. Paronnaud) sont parues notamment aux éd. Cornelius, Delcourt et Fernand Nathan.