Melody, le deuxième long-métrage du réalisateur belge Bernard Bellefroid, se fredonne en quelques notes mais il nous délivre une partition intime qui pianote avant tout sur les gammes de l’humain. Même si la question de la gestation pour autrui est au centre du film, il dresse surtout un beau portrait de femmes, esquissé tout en finesse et en complexité. Lucy Debay, dont les yeux pers crèvent littéralement l’écran, incarne avec un jeu minimal son rôle de femme-enfant avec une justesse désarmante. Elle nous a fait le plaisir de nous accorder un entretien dans le cadre du Festival International du Film Francophone de Namur.
Comment s’est passée votre première rencontre avec Bernard Bellefroid ? (Il déclare que ça a été évident très vite)
Lorsque Bernard m’a contactée, je jouais au théâtre le rôle d’une femme enceinte… qui tente de se suicider ! Il m’a proposé de passer un casting ; ce que j’ai fait. J’avais une scène à préparer, une scène que j’ai découverte sur place, et il m’a également fait faire des exercices « physiques » au cours desquels j’ai dû notamment simuler des contractions. Ensuite, la réponse est arrivée très vite.
La relation complexe qui se noue entre Melody et Emily passe plus par les regards et à travers les attitudes et les silences que dans les dialogues à proprement parler. Comment avez-vous travaillé votre rôle en amont du film ?
J’ai relu à plusieurs reprises les différentes versions du scénario avec Bernard, et lors de nos rencontres, nous discutions beaucoup, tant des scènes que j’aurais à jouer que de mon personnage. Nos échanges ont donc permis un premier travail de maturation. Ensuite, je me suis renseignée sur la gestation pour autrui, en faisant des recherches sur Internet et en lisant un livre sur les mères porteuses. J’ai rencontré plusieurs femmes enceintes et j’ai notamment passé beaucoup de temps en compagnie de ma voisine qui, à l’époque, était enceinte. Je discutais avec elle, j’observais ses comportements et ses gestes (la manière dont elle s’accommodait de son nouveau corps pour faire son ménage, par exemple) ; je l’ai même accompagnée quelques fois chez le médecin. Bernard m’avait également demandé d’assister à un accouchement. Il m’avait d’ailleurs été permis de trainer la nuit dans les couloirs d’une maternité mais par pudeur, il me semblait très délicat de « m’infiltrer » dans l’intimité de femmes sur le point d’accoucher. Mais il se fait que ma voisine (qui ignorait pourtant la demande de Bernard) m’a demandé d’assister à la naissance de son enfant. Elle était déjà maman d’une petite fille à laquelle elle avait donné naissance en Afrique, et ayant été entourée de femmes lors de son premier accouchement, il lui importait culturellement de revivre la même chose, surtout compte tenu du lien qui s’était établi entre nous les dernières semaines de sa grossesse. Malheureusement, j’ai dû m’absenter durant deux jours, et c’est à ce moment-là qu’elle a accouché ! Vu la proximité de nos rapports, c’était terrible de ne pouvoir être présente au moment clé. Enfin, la date du tournage ayant été reportée, j’ai ressenti le besoin de mettre en condition afin d’incarner le personnage de Melody. Je me suis donc mise à aller régulièrement à la piscine comme Melody le fait dans le film (alors que la natation n’est pas vraiment ma tasse de thé). Mais cet exercice m’a permis de me rapprocher de Melody.
Melody a été réalisé par un homme ; pourtant son sujet (celui de la filiation maternelle) est abordé sous un angle de vue très féminin. Quelle a été votre contribution personnelle à ce film de « femmes » ?
En fait, l’idée de départ venait de l’épouse de Bernard, Carine Zimmerlin, qui a co-écrit le scénario. C’est peut-être ce qui explique la sensibilité féminine du film. En ce qui concerne ma propre contribution, je dois admettre que Bernard m’a laissé beaucoup de place pour incarner le rôle de Melody. Il recherchait une actrice qui n’avait jamais été enceinte (ce qui est mon cas) afin qu’à l’image de Melody, elle puisse progressivement découvrir les changements que la maternité opère. J’ai donc porté des faux-ventres pendant deux mois afin de me rendre compte, l’imagination aidant, de ce qu’une grossesse impliquait comme transformations physiques. C’était une manière de me découvrir une nouvelle silhouette.
Qu’est-ce qui vous a le plus séduit, ému et interpelé dans le rôle de Melody ?
Ce qui m’a séduit, c’est que Melody est très vite embarquée dans un projet auquel elle n’avait pas vraiment pleinement réfléchi et qu’elle découvre au fur et à mesure les raisons de sa décision et les implications de celle-ci. Ce qui m’a également intéressée, c’est la complexité de la relation qui se noue avec Emily, la mère commanditaire. Melody est à la fois fascinée et dégoûtée par cette femme qui observe les transformations de son corps et estime avoir un droit de regard légitime. Les rapports qu’elles entretiennent ne sont pas linéaires : il y a des tensions, de la complicité et in fine une relation maternelle. J’ai vraiment apprécié cette complexité humaine.
Et qu’avez-vous apprécié dans le traitement de son sujet ?
En me documentant sur le sujet, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de cas d’école et que l’on ne pouvait pas faire de généralités en la matière. Chaque histoire a sons sens propre, et l’histoire de Melody ne fait pas exception. Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est que le scénario ne se concentre pas seulement sur Melody mais qu’au contraire, il se focalise sur la relation qui unit Melody et Emily. J’ai aimé le rapport au regard et au corps que toutes deux entretiennent, cette projection mutuelle qui donne un effet miroir à leur relation…
Dans le film, Melody dit « Je ne peux pas être mère ». En raison de son histoire personnelle mais aussi parce qu’être mère serait peut-être aussi courir le risque de postposer son rêve, voire d’y renoncer. Comment envisagez-vous la maternité à titre personnel ?
Cela peut être compliqué car un enfant modifie inévitablement l’emploi du temps. Mais je me dis que c’est tout à fait conciliable et que cela oblige sans doute à faire des choix plus radicaux, ce qui n’est peut-être pas plus mal… En fait, je ne sais pas… c’est très compliqué !
Vous êtes bien connue de la scène théâtrale mais moins au cinéma si l’on excepte Somewhere Between Here and Now. Avez-vous l’impression que Melody va imprimer un nouveau virage à votre carrière cinématographique ?
Oui. En fait, ça a déjà commencé car dès que l’on a appris que j’avais obtenu un premier rôle, j’ai reçu d’autres propositions. Mais cela dit, j’aime autant le théâtre que le cinéma, et mon engouement dépend surtout des projets qui me sont offerts. Actuellement, je suis peut-être plus en état de découverte sur le plan cinématographique et cela m’amuse donc énormément, d’autant que j’ai la chance d’avoir la possibilité de travailler sur des beaux projets.
Quels sont vos projets futurs ?
Je vais continuer à travailler au théâtre et j’ai un autre projet au cinéma mais c’est dans un registre tout autre que Melody puisqu’il s’agit d’un film d’horreur !
(Propos recueillis par Christie Huysmans)