Anne Lévy-Morelle

Cinéaste

Essayer d’appréhender le travail d’Anne Lévy-Morelle en une interview unique est un leurre. Il y aurait tant de chemins et de détours à emprunter pour tenter de cerner les multiples facettes de son travail.

C’est donc avec comme point de départ son dernier film, « Manneken Pis, l’enfant qui pleut », que nous entrons dans l’univers de la réalisatrice belge.

Par un questionnement sur ses choix dans ce film, comme sur sa démarche en général, cette rencontre espère ouvrir des portes vers l’œuvre d’Anne Lévy-Morelle.

Simple esquisse, elle n’est que pistes lancées, avec l’espoir qu’elle donnera l’envie de découvrir son travail riche et atypique. (Justine Gustin)

Cinefemme (CF) : D’où vous est venu l’envie de traiter de Bruxelles avec ce nouveau documentaire ?

Anne Levy-Morelle (A. L-M.) C’est venu de plusieurs façons, de plusieurs choses. Tout d’abord de mon film précédent, « Sur la pointe du cœur », où je m’étais posé la question de savoir quelles étaient les circonstances qui avaient pu faire que la deuxième enceinte de Bruxelles, le Pentagone, ait une forme de cœur. Pour cela, j’avais dû faire des recherches assez approfondies sur l’histoire de Bruxelles. Mais le film avait rejeté tout ça, ça ne marchait pas, ça ne collait pas. Il restait une frustration de cet intérêt-là dans ce film.

Ensuite, plus particulièrement, et ca n’a rien à voir avec la deuxième enceinte de Bruxelles, une seconde impulsion est le fait que c’est ma ville. Je suis née ici, j’ai toujours vécu ici. Et je me suis toujours intéressée à l’Histoire avec un grand H, pas celle des dates et des grands courants, mais l’histoire des modes de vie et des forces qui nous constituent. La Grand Place m’intéressait. Le film est venu de ça aussi. J’ai eu l’occasion de lire beaucoup sur la Grand Place (*).

Je la trouvais intéressante dans la mesure où elle n’est pas homogène. Pour reprendre une phrase que quelqu’un a dit dans le film ; « elle est harmonieuse mais pas homogène ». Et ça, c’est un mystère.

Les bâtiments, c’est très difficile à filmer. Surtout quand on ne s’intéresse pas vraiment aux bâtiments mais aux gens. Ca demandait des détours. Par exemple un détour par Manneken Pis, qui représente des choses extrêmement profondes et contradictoires sous ses dehors de gadget. Il est là depuis longtemps. Il nous ressemble et il nous résume bien dans nos aspects contradictoires. C’est un vrai paradoxe, et ça m’intéressait beaucoup.

Il y a d’une part le fait qu’on est habitué à le traiter comme une personne. C’est même un peu choquant de penser que c’est une œuvre d’art. On ne le regarde pas comme un œuvre, alors qu’en fait, quand on regarde la statue, elle est très belle. Il y a donc ce coté pas sérieux, dérisoire, un peu ridicule. Il est tout petit, on se moque de lui et il assume ça très bien.

D’autre part, il faut bien reconnaître que cette statue est très connue, qu’elle n’est pas que dérisoire. Le geste qu’il fait pourrait être compris comme très agressif, très prétentieux. Sa main sur la hache est aussi le geste de quelqu’un qui dit « je suis là ».

Lorsqu’on sait qu’en soi, le motif de l’enfant qui fait pipi, c’est archi-connu dans l’histoire de l’art depuis le Titien jusqu’à l’Antiquité, on réalise qu’il n’est pas du tout unique en son genre. Ce qui est unique en son genre, c’est la relation que nous avons avec lui. Il est sous notre nez, tous les jours. On ne va jamais voir Manneken Pis. Moi je ne le regarde pas quand je passe devant. Par contre, je m’attarde sur les touristes qui le regardent, parce que la situation est amusante.

Je trouve donc que là, on a un bon personnage de film, parce qu’on croit le connaître, et qu’en réalité, on ne sait rien. C’est un mystère intéressant. A la différence du journalisme, le cinéma, fut-il du réel, doit poser des questions et ne pas chercher à donner des réponses. On ne saura donc pas tout sur Manneken Pis.

(CF) Mais on ouvre tout un tas de portes…

(A. L-M.) Tout à fait. On ouvre des portes qui permettent de réexaminer notre relation à ce petit bonhomme. Ce personnage qui dit aux gens de partout : « venez, vous êtes les bienvenus, nous mettrons votre costume, mais, attention, nous restons nus en-dessous. Et de toute façon, nous continuerons à pisser. La pluie continuera à tomber, et au fond, nous restons nous-mêmes. » Sous cette bonhommie apparente, il ne faut pas trop y toucher.

Il y avait aussi des histoires très touchantes, comme celle des gens qui pendant l’exode, en 1942, partirent de Bruxelles en emportant ce qu’ils pouvaient prendre, dont un mini Manneken Pis, façon pour eux d’emporter symboliquement la ville. Aujourd’hui, c’est devenu un gadget pour touristes fabriqué en Chine.

D’autre part, il y a cette espèce de paradoxe où on se vante d’être modeste. C’est une attitude très bruxelloise. On ne peut pas dire que l’on est fier parce que chaque fois qu’on l’a fait dans l’Histoire, on s’est fait casser la figure. Donc ce n’est pas prudent de le faire. Cet élément fait donc de Mannaken Pis, en plus d’être un personnage comique, un personnage tragique. C’était très inspirant.

Je n’ai jamais décidé de faire un film sur Bruxelles. Manneken Pis, lui, s’est imposé comme un protagoniste intéressant.

(CF) C’est intéressant parce que justement, dans vos deux précédents films, il semblait ne pas avoir de personnage principal, mais un protagoniste absent dans « Le rêve de Gabriel » et un personnage multiple dans « Sur la pointe du cœur ». Ici, on a vraiment l’impression d’avoir un héros en la personne de Manneken Pis. Une figure centrale parmi les multiples facettes que vous révélez.

(A. L-M.) Cela fait partie de codes que quelques amis et moi appelons l’épopée authentique. C’est-à-dire un film où il y a une dimension collective, mais aussi une dimension de transcendance : quelque chose de plus fort que nous. Ca peut être les forces de l’histoire ou de la nature. Quelque chose qui nous dépasse.

Mais j’aime bien qu’il y ait un personnage collectif. Je pense que pour faire un film d’une heure et demi avec des éléments du réel, il faut des protagonistes multiples. J’aime bien la parole multiple. Traiter la parole comme si c’était toujours la même personne qui parle sauf qu’elle change de voix. Elle change de visage.

Ca permet, au niveau des techniques narratives, de composer le film de façon très soigneuse, avec toutes ces interviews que j’ai réalisées, mais ça permet aussi une grande liberté dans l’agencement du récit.

J’ai découvert cela avec « Le Rêve de Gabriel », mon premier film, où on parlait de quelqu’un qui n’était pas là. Où il n’y avait que les traces dans les mémoires des autres, dans les lieux, dans les films et dans les photos. Le défi, c’était de faire exister cet homme à partir d’un collectif, d’un ensemble de gens autour. A cette occasion, j’ai appris à assembler des choses très éparses, de factures très différentes et à construire un récit qui avait un souffle épique. Après, j’ai cherché à retrouver cela. Parce que le souffle épique, c’est une sorte de drogue à accoutumance. Une fois qu’on y a gouté, on veut le retrouver.

A priori, on ne pense pas que Manneken Pis ait une dimension épique. Mais je pense que la situation paradoxale de Bruxelles, des Bruxellois, d’être une ville qui prétend toujours qu’elle n’a l’air de rien et qui le fait pour des raisons que l’on peut comprendre si l’on se penche sur son histoire, engendre une dimension épique.

Quand je parle de la fierté dans ce film, ce n’est pas la fierté nationaliste fermée, stupide. Je pense à la fierté qui fait que les vertèbres, ce ne sont pas seulement des bouts de matière dure, qui se mettent les unes sur les autres. C’est quelque chose qui est vivant et qui doit se dresser vers le ciel, c’est la vie (c’est pour cela que j’ai tellement filmé l’Hôtel de Ville).

C’est le fait d’être pas seulement des survivants, mais des vivants qui sont conscients de nos qualités et qui les assumons. En tant que Bruxellois, on est très souvent en bas régime par rapport à ça, et il y a des raisons, parce qu’en fait, ce n’est pas vrai. On ruse. En réalité, on est extrêmement ambitieux, voir prétentieux. Mais on ne s’en vante pas.

On ne peut pas se vanter d’être modeste, parce qu’à partir du moment où on s’en vante, on ne l’est plus… C’est donc un comportement tout à fait paradoxal qui caractérise l’attitude bruxelloise. On ruse avec les paradoxes.

Je pense par ailleurs que cette attitude a quelque chose de très féminin. J’ai eu conscience de ça pendant tout le tournage et c’est devenu encore plus évident au montage. C’est une problématique féminine. Dans ce sens-là, je ressens une identité très féminine dans Bruxelles. Quelqu’un, un homme d’ailleurs, dit dans le film (phrase qui n’est finalement pas restée au montage) : « la ville, c’est la femme absolue ». Bon ça, c’est des belles formules, mais je ressens néanmoins quelque chose de féminin dans cette identité bruxelloise.

J’espère que, même si on n’a pas l’intention de faire une visite de Bruxelles ou de la découvrir de façon plus approfondie, on peut quand même regarder le film comme une expérience d’avoir une fierté de soi cachée, mais néanmoins existante et vivace. Et je pense que 99% des femmes sont dans ce cas de figure-là, d’avoir des qualités et de ne pas pouvoir les exprimer clairement, sinon ça engendre plus de problèmes que de résultats. Donc chaque femme doit se débrouiller avec ça.

C’est évidemment une pensée qui m’a suivie tout au long de la réalisation de ce film. Et c’est aussi une des lectures possibles du film.

Quelque chose que j’aime bien, dans cette épopée authentique, c’est qu’il y a plusieurs compréhensions possibles, on doit pouvoir y voir autre chose que la mise en scène du folklore bruxellois.

(CF) A propos de « Sur la pointe du Cœur », vous disiez que vous vous étiez servie de l’hôpital Saint-Pierre pour parler de quelque chose qui n’est pas l’hôpital, est-ce la même chose pour ce film-ci ? Le folklore bruxellois n’est là que pour suggérer autre chose ?

(A. L-M.) Je n’aime pas ce terme de folklore, parce que pour moi, ça représente des traditions qui ne sont plus là et que l’on essaye de mettre sous perfusion. Bien sûr, les costumes de Manneken Pis ont une dimension folklorique, mais je pense que ça a aussi autre chose que ça. Il continue à en recevoir et ce n’est pas seulement un gadget. C’est une sorte de blague sérieuse.

Il faut savoir qu’il y aura deux films. D’une part « Manneken Pis, l’enfant qui pleut » qui sortira le 18 juin en salle. Et d’autre part, « Manneken Pis, le garçon qui ne voulait pas être fièr », durant 52 minutes, qui est plus spécifiquement destiné à la télévision.

Ce second film est différent. On y raconte l’histoire de Manneken Pis. C’est une enquête : on donne des informations sur Manneken. Je ne suis pas sûre que ce soit une épopée authentique parce que là on donne des informations. C’est un film documentaire, mais je ne suis pas persuadée qu’il pose autant de questions que l’autre. Il laisse un mystère, bien sûr, parce que je ne sais pas faire autrement et qu’en plus, on ne peut pas tout savoir sur Manneken Pis. Ca reste mystérieux.
Dans « L’enfant qui pleut », il y a plusieurs films.

(CF) On remarque qu’il y a toujours, dans chacun de vos trois films, une place importante accordée au travail de la voix. Pluralité de voix mises en présence dans la bande son, voix over à la fois structurante et poétique. Peut-on parler d’une certaine littéralité dans vos films ?

(A. L-M.) Oui, effectivement.
C’est une étape qui s’élabore au montage. J’ai des mots clés, une base de données, avec beaucoup de matière, d’autant plus avec ce film, tourné en vidéo haute définition, qui est un support avec lequel on se retrouve toujours avec beaucoup plus de matière que lorsqu’on tourne en pellicule (ce qui était le cas de mes films précédents).

J’aime beaucoup l’image vidéo haute définition, je ne suis pas une nostalgique de la pellicule. Mais du coup, au montage, je me retrouve avec une matière effroyablement hétéroclite. Et là, c’est tout un travail, à la fois contrôlé, rationnalisé par un système de base de données et de mots clés (par exemple grand – petit). Sur base de cela, j’essaye de construire un film qui passe d’un thème à l’autre, ce qui a pris très longtemps.

Parce qu’il y a des contraintes, des choses qui doivent être dites dans un certain ordre. Cette voix de narration, je l’écris donc au montage, je la tresse littéralement avec les plans et je la réécris jusqu’au dernier stade du mixage.

(CF) Donc au moment du scénario, tous ces textes n’existent pas encore.

(A. L-M.) Ca m’est arrivé d’écrire des textes avant le tournage, notamment la voix off pour « Le rêve de Gabriel », mais je pense qu’il ne reste rien de cette voix off dans le film terminé. Uniquement pour une raison : au stade du dossier, on essaye de faire croire au lecteur, qui est décisionnaire des moyens de financement, qu’il a vu le film, on essaye de le mettre dans un état d’hypnose par un texte tellement imagé qu’il croit qu’il a visionné le film. Mais en fait, il n’a rien vu.
Une fois que les images sont là, on ne parle plus de la même manière, parce que ce qui est vu ne doit plus être contenu dans les images. Sinon on arrive dans ce que j’appelle « le syndrome des petits pots avec couvercles ».

C’est ce qui se produit quand on va voir une exposition d’œuvres d’art et que l’on achète le catalogue par la suite. On le feuillette, on retrouve les photos des œuvres vues, notamment la photo du petit pot avec couvercle au dessus de laquelle est inscrit : « petit pot avec couvercle ». Ce qui est totalement redondant et vide de sens.

Forcément, une fois qu’on a filmé quelque chose, la voix ne doit plus décrire la chose vue. Sauf si on ne comprend pas ce que l’on voit. Donc, évidemment, ce travail-là, il se réécrit tout au long du tournage et du montage. Il ne reste donc rien du dossier écrit au départ, si ce n’est le plus important, c’est-à-dire l’esprit.

La chose importante dans ce film, c’est le mystère de « qu’est-ce que c’est que la fierté, comment ce sentiment peut être à la fois si grand et caché ». L’histoire de Bruxelles est un merveilleux terreau pour explorer ce sentiment.

Après, chaque spectateur verra ce qu’il veut dans le film. Peut-être que certains ne sentiront même pas cette idée de la fierté, mais si quelques uns le sentent, alors j’ai réussi. Tant que maintenant, je ne peux rien dire, on verra quand le film sortira en salle.

(CF) Vous avez décidé d’utiliser votre propre voix comme voix over dans ce film. Est-ce un choix délibéré ? Est-ce, à l’instar d’Agnès Varda, une façon d’investir l’espace de votre film de votre présence ?

(A. L-M.) C’est bien un choix, qui a d’ailleurs été contesté par certains partenaires du film. Mais j’ai lutté pour conserver ce choix. J’ai filmé de vrais historiens, un vrai météorologue, un vrai psychanalyste, un vrai commissaire, un vrai inspecteur de quartier, une vraie factrice, tous ces gens qui ne sont pas des acteurs, dont je n’ai pas écrit les dialogues, tous ces morceaux de réel que l’on a assemblés.

De la même manière, la voix over devait être ma voix, un vrai JE, même si et parce que ce n’est pas une voix d’actrice. Je n’ai pas la diction et l’expressivité d’une actrice, mais pour ce film, c’est ce qui convient.

On peut qualifier ce choix de pointu, mais pour moi, c’est aussi ce qui fait la cohérence du film. Dans « Le rêve de Gabriel », c’était aussi ma voix. Là aussi, j’avais eu ce désaccord avec plusieurs des producteurs du film. J’avais fait des essais avec une comédienne pour ce premier film, mais ça n’avait pas fonctionné.

Une stagiaire présente avait trouvé les mots justes pour définir le malaise que je ressentais, elle avait dit : « elle parle mieux, c’est plus agréable à entendre, mais elle ne parle pas à Gabriel ».

Avec « Manneken Pis, .. », j’ai été confrontée à un voyage de plusieurs années à travers des éléments historiques, un fond dense et d’une richesse incroyable. Le parcours de lire tout ça, de rencontrer tous ces gens, ces historiens qui ont consacré leur vie à l’étude de Bruxelles, de fabriquer ce récit, fait que je ne pouvais plus envisager cette voix dite par quelqu’un d’autre.

Pour moi, ça n’aurait pas été juste. C’est une sensation que je ne peux refouler. C’est dans l’ordre du corps, je ne peux l’imaginer autrement. Je n’aime même pas spécialement ma propre voix, mais c’est une question de cohérence.

(CF) Un autre élément qui m’a impressionné dans votre film, par rapport à vos deux films précédents, c’est la multitude de typologies représentationnelles qui y sont mobilisées. Est-ce que cette diversité de matières filmiques rejoint l’idée de patchwork au niveau de l’essence même du film ?

(A. L-M.) Je ne me suis pas dit « cherchons une forme qui soit zinne comme le film ». Il y a un mot néerlandais que j’aime beaucoup pour décrire cela : melenmoess, un mélange varié, une mixture.
Mais par rapport à cette diversité de matières, je pense que, quand on fait un film, on essaye de sentir ce qui est juste, et ça passe par les sensations, pas toujours par l’intellect.

En effet, il y a beaucoup de styles de tournage différents : du studio, mais aussi des scènes complètement mises en scène (notamment les prises avec la chorale), comme des prises de vues tout à fait documentaires (comme les prises dans la classe).

Il y a aussi des interviews en face caméra. J’avais déjà fait beaucoup d’interviews pour « Sur la pointe du cœur », des interviews de gens qui avaient un savoir sûr. Et c’était très difficile à intégrer dans une épopée authentique parce qu’on glisse vite dans l’information. Ca devient vite pesant, ça plombe le film. Du coup, je les ai toutes enlevées.

Pour « Manneken Pis,… », je savais donc que si je voulais avoir la parole des gens qui ont un savoir mais aussi un vécu par rapport à ce savoir, je devais trouver quelque chose, un élément qui me permettrait de convoquer non seulement ce savoir, mais aussi ce vécu, afin d’éviter de sombrer dans l’information.

C’est de là qu’est venu l’idée d’emmener un moulage de Manneken Pis et de le mettre en présence des gens interviewés, le posant comme participant en face du parlant. Il y a une sorte de dialogue qui s’installe dès lors, entre le participant et Manneken Pis. Cela fait que du coup, ils ne sont pas tout à fait pareils. Les interviewés le découvraient au moment de l’interview. Voir cette statue de si près engendre des comportements divers, quelque chose se passe qui humanise Manneken Pis.

(CF) En regard des vos deux autres films caractérisés par une horizontalité au niveau de l’image même, la verticalité de « Manneken Pis » est marquante, que ce soit par les nombreux travelings verticaux, par la pluie, par cette flèche de l’hôtel de ville qui pointe vers le ciel.

(A. L-M.) Ce n’est pas conscient, mais c’est tout à fait vrai. Ici le labyrinthe s’incarne dans la façon d’aller d’un thème à l’autre, alors que dans « Sur la pointe du cœur », le labyrinthe était cet hôpital labyrinthique.

C’est vrai que la verticalité est une donnée importante, parce que parler de Manneken Pis, parler de Bruxelles à travers la pluie, c’est forcément aller dans le rapport bas-haut. C’est forcément parler du petit zizi de Manneken et du grand zizi de la flèche de l’Hôtel de Ville, cette tour de 96 mètres de haut, la plus haute tour dans les années 1400.

Cette verticalité est donc bien sûr un élément important. Se trouver sur la Grand Place procure un sentiment particulier, en lien avec cette verticalité : on est entouré de toutes ces hautes façades, on a l’impression d’être dans « le salon de la ville », dans le ventre de la ville. A nouveau, le féminin rencontre le masculin puisque ce ventre de la ville est habité par la flèche de l’Hôtel de Ville, tour phallique qui pointe vers le ciel, perce verticalement vers les nuages.

(CF) Je terminerai en vous posant la question que vous posez au début de votre film : Etes-vous fière d’être bruxelloise ?

(A. L-M.) Non, peut-être (rire). Je ne peux répondre que ça, à la bruxelloise. C’est difficile de dire ça. Parce que d’abord la crainte du mauvais œil interdit de le dire, on peut le penser mais pas le dire. Ensuite parce que j’ai peur que ça soit mal compris. Que ce soit interprété comme une fierté nationaliste fermée, ce que je ne voudrais pas.

Interview menée et retranscrite par Justine Gustin

(*) Dans la perspective d’un projet interactif, qui ne s’est jamais concrétisé parce qu’il est très difficile de financer ce genre de projet.