Coup de coeur
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Coup de coeurYOUTH

Paolo Sorrentino

Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Jane Fonda

118 min.
7 octobre 2015
YOUTH

Quand la mise en scène grandiose et l’étincelante vivacité d’un
Sorrentino s’unissent à la sobriété d’un magistral Michael Caine ainsi
qu’à la faconde d’un Harvey Keitel toujours au sommet de son verbe, on
ne peut évidemment que s’étonner que Youth ne se soit point retrouvé au Palmarès du dernier Festival de Cannes.

Sans
doute le réalisateur italien aurait-il gagné grâce aux yeux du Jury
s’il avait placé les deux héros octogénaires de son film dans un home
mouroir au lieu de les laisser se prélasser dans un luxueux palace niché
au creux des Alpes Suisses ! Mais si tel avait été le cas, en lieu et
place d’une envolée aussi baroque qu’onirique sur la Place Saint-Marc
(Michael Caine rêvant qu’il se noie au cœur de la cité vénitienne après
avoir rencontré Miss Univers), on aurait assisté au débordement putride
et cauchemardesque des wc dudit home ; de même, le concerto poétique
conduit par un chef d’orchestre qui laisse filer son imagination devant
un parterre de vaches musiciennes aurait été remplacé par un vulgaire
morceau d’accordéon joué par un sosie d’Yvette Horner. Il Divino en a
bien gardé le réalisateur d’Il Divo, qui a remporté le Prix du Jury à
Cannes en 2008 ; le pire a donc été évité.

Les élans surréalistes
de Sorrentino, son appétence pour le luxe, son esthétique léchée, son
aptitude à créer l’insolite ainsi que son humour serti d’un certain
cynisme… ont peut-être le don d’en exaspérer certains mais tout ce qui
rend son cinéma aussi idiosyncratique a aussi de quoi largement séduire.
Car qu’il agace ou qu’il plaise, le réalisateur italien fait preuve
d’une indéniable virtuosité dans l’art de nous faire rêver ; une
virtuosité qui n’a d’égale que dans sa propension à susciter le
désenchantement par le biais de répliques bien nourries.

Contrairement
à ce que certains ont prétendu, Youth ne fait pas l’apologie du
jeunisme mais livre au contraire une belle réflexion non seulement sur
la vieillesse et le temps qui passe mais aussi sur la jeunesse. Une
réflexion pleine d’esprit qui s’étend sur le large spectre de l’amour,
de l’amitié et du travail, et qui pianote avec une maestria hors pair
sur toutes les gammes de l’humour et de la mélancolie. Car dans Youth ,
les regrets ne sont jamais très éloignés de la lueur de l’espoir, et la
dérision cloue divinement le bec au dérisoire comme à l’illusoire. L’on
ne peut d’ailleurs que souligner le merveilleux sens de l’autodérision
dont font preuve Michael Caine, Harvey Keitel mais aussi Jane Fonda (en
ébouriffante actrice sur le retour) qui, tous, assument avec brio et
sans euphémisme les rides du temps.

Même si le cinéaste a
indéniablement concentré son sujet sur deux maîtres du cinéma et s’est
ici donné l’occasion de leur tailler des rôles dignes d’un styliste
haute couture, il a également pris le soin de les entourer d’une
constellation de personnages secondaires qui, gravitant subtilement
autour de l’axe central de son film, étoffent la caractériologie de ses
deux protagonistes et donnent de l’amplitude à leurs existences eu égard
à leur durée de vie (leur passé, leur présent et leur avenir).

Fred (Michael Caine) et Mick (Harvey Keitel) sont certes les personnages phares sur lesquels Youth
dirige ses projecteurs mais leur entourage n’en est pas moins
éclairant. L’un est un chef d’orchestre à la retraite, intime d’Igor
Stravinski, qui même pour les beaux yeux de la Reine d’Angleterre se
refuse à jouer de la baguette ; l’autre est réalisateur et travaille
toujours à l’écriture du scénario de son film testament, un scénario
dont il ne parvient pas à trouver la fin. Cependant tous deux sont en
compagnie de plus jeunes qu’eux : Mick s’est entouré d’une bande de
nouveaux créateurs pour l’aider dans son travail ; Fred est accompagné de
sa fille (Rachel Weisz), il a développé une relation complice avec un
acteur dont on ne retient que le rôle de robot (Paul Dano) et il aidera
un très jeune musicien qui s’essaie laborieusement à jouer l’une des
partitions dont il fut le compositeur.

Sorrentino dresse ainsi le
portrait d’une belle et positive amitié entre deux octogénaires, mais
il développe aussi un subtil jeu de miroir entre jeunes et moins jeunes.
De la réflexion, Youth passe ainsi à une reflection au travers
de laquelle les uns se souviennent et les autres se projettent, offrant à
tous une fulgurante cure de jouvence.

( Christie Huysmans )

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