Drame
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Coup de coeurVERSAILLES

Pierre Schoeller (France 2008 - distributeur : Benelux Film Distributors)

Judith Chemla, Aure Atika, Guillaume Depardieur, Max Baissette de Malglaive

113 min.
20 août 2008
VERSAILLES

Versailles est à la grandeur ce qu’Hollywood est au glamour. Un tic de pensée, une association d’idées spontanées, une comparaison pavlovienne.

La plupart de ces réflexes langagiers n’ont que peu de fondement. La Mecque du cinéma peut être le linceul de l’égoïsme le plus sordide (*) et Versailles n’est pas qu’un prétexte à découvrir l’histoire de France (**), la demeure royale mise en scène par une Sofia Coppola éblouie (***), ou la banlieue bcbg de trentenaires bobos (****).

A deux pas du château, dans ses bois, trouvent refuge des nouveaux pauvres, des SDF, des oubliés de l’Internet et de Face Book.

C’est à cette réalité dure, brutale, anti paillettes que Pierre Schoeller a décidé de s’intéresser.

Avec une maladroite et touchante délicatesse, à travers l’histoire de Damien (un sensationnel Guillaume Depardieu), il nous prend par la main - encore faut-il que le spectateur accepte de la lui tendre au risque d’être dérangé dans ce que Marcel Aymé nommait son confort intellectuel - pour nous parler d’une vérité contemporaine que l’on veut bien entendre.

Distraitement, d’une oreille, en fin de journal télévisé et à la condition de ne pas accorder au sujet une gravité et une longueur qui remettraient en cause la tranquillité de la soirée à laquelle chacun DF/TR (domicile fixe/travail régulier) estime avoir droit.

Cette vérité elle est simple. Et horrible. En France près d’un million de personnes vivent dans un endroit précaire et la plupart de celles-ci souffrent d’une incapacité à s’engager durablement dans un projet. Qu’il soit amoureux, familial, professionnel ou social.

Nina, sans emploi et sans allocation de chômage, vit avec son fils de 5 ans, Enzo (un jeune Max Baissette de Malglaive dont le pouvoir de conviction doit beaucoup au mutisme expressif de son interprétation)

Elle rencontre dans la forêt versaillaise Damien. Elle décide, sans lui demander son avis, de lui laisser l’enfant. Lentement et difficultueusement, les deux hommes - le petit et le grand, ce qu’ils seront alternativement l’un pour l’autre - s’apprivoisent. Jusqu’à ce que ….

Il n’est pas facile de traiter d’un problème grave en laissant au placard le répertoire des intentions
qui, souvent parce que (trop ?) bonnes, mettent en danger la sincérité et l’équilibre d’un scénario.

Pourtant Pierre Schoeller arrive - et c’est bravo pour un premier film - à maintenir une balance
entre le crépusculaire et le lumineux, la fatalité et l’espérance, la tendresse et le pathos.

Il y a quelque chose du poème de Victor Hugo « Le crapaud » dans la relation qui s’ébauche entre Damien et Enzo. C’est parce qu’ils sont tous les deux démunis qu’ils vont s’aider. S’épauler à tour de rôle. En quelque sorte se relayer, lorsque l’un flanche, dans leur désir de s’en sortir.

Porté par une fièvre intérieure, Damien brûle l’écran. Intense, fier, humain au sens dostoievskien du terme c’est-à-dire conscient mais attaché à ses faiblesses, il accroche le cœur de l’enfant et celui du spectateur.

Qui plus vite que le premier mais avec la même tristesse résignée se rendra compte qu’une filiation pour exister, dans la durée, ne doit pas reposer que sur le hasard.

L’amour on le sait ne suffit pas toujours à retenir quelqu’un. Mais il peut suffire, parce qu’il est un
sentiment aussi fort qu’ambigu, à faire revenir une mère qui s’était éloignée.

Paradoxe des attachements humains, solidarité entre ceux qui n’ont rien ou si peu, complicité entre ceux qui sont seuls, appuis familiaux inattendus, Pierre Schoeller a préféré, dans son approche du phénomène d’exclusion sociale, le regard intimiste à la critique acerbe, kenloachienne ou politique.

Reléguant par sa tenue morale au niveau de la parade presqu’indécente les photos de Karl Lagerfeld présentées jusqu’au 10 septembre au … château de Versailles. (m.c.a)

(*) « The bad and the beautiful » de Vincente Minnelli, « The day of the locust » de John Schlesinger
(**) « Si Versailles m’était conté » de Sacha Guitry
(***) « Marie-Antoinette »
(****) « Versailles, rive gauche » de Bruno Podalydès