Adaptation d’une pièce de théâtre
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

UNA

Benedict Andrews

Ben Mendelsohn, Rooney Mara, Ruby Stokes, Riz Ahmed

94 min.
12 juillet 2017
UNA

Una (Rooney Mara) débarque à l’improviste dans un entrepôt. Elle recherche un homme prénommé Ray (Ben Mendelsohn). Aucun employé de l’entreprise ne répond à ce prénom mais par contre, il y a bien un dénommé Peter, qui correspond à la photo qu’elle arbore. Confronté à la soudaine présence de cette jeune femme sur son lieu de travail, cet homme d’une cinquantaine d’années se montre particulièrement décontenancé. Ils s’enferment dans la cafeteria, et s’en suit un long face-à-face entre les deux protagonistes, qui ne se sont pas revus depuis quinze ans. À l’époque, Una avait treize ans, lui la quarantaine. Ray a-t-il abusé d’elle ? S’est-il comporté en prédateur pervers ou était-il nympholepte ? L’a-t-il sincèrement aimée et avait-il le droit de tomber amoureux d’une fille si jeune ? Et surtout, pourquoi a-t-il brusquement disparu ?

Benedict Andrews signe son premier film en adaptant brillamment la pièce de théâtre du dramaturge écossais David Harrower, Blackbird, un texte tranchant comme une lame de rasoir qu’il connaissait particulièrement bien pour l’avoir mis en scène à Berlin en 2005. Una n’est toutefois pas la stricte transposition d’un duel verbal joué à huit-clos ni encore moins un film théâtralisé. Utilisant à merveille les artifices que permet le cinéma, Benedict Andrews dépasse largement les frontières spatiales du texte et nous livre un film captivant, voire exaltant, dont les ambiguïtés nous dispensent in fine de tout jugement manichéen. À travers le recours à de fréquents flash-backs qui ne suivent guère une chronologie linéaire, le réalisateur nous plonge dans les méandres mémoriels de ses protagonistes, chacun revisitant et reconstruisant à sa manière ses souvenirs, leur teneur émotionnelle ainsi que leur incidence sur le présent.

L’histoire, inspirée de faits réels1, fait inévitablement songer à Lolita, sulfureux roman de Nabokov, qui à sa publication, fit scandale et fut d’ailleurs censuré. Cependant, à la différence de Lolita dont le point de vue narratif est interne et se limite à celui de Humbert Humbert, les points de vue sont ici éclatés et réarrangés de manière différenciée au fil de la narration, alimentant ainsi le caractère équivoque d’un amour impossible ou d’une relation jugée illicite, selon l’angle que l’on sera tenté d’adopter. Si dans un premier temps, la relecture du passé s’effectue à travers les réminiscences d’Una, la perspective s’ouvre progressivement à celles de Ray, et explore également, de manière incisive et fort à propos, les sentences contradictoires de la société et de la justice à l’égard d’Una. À ce titre, on relèvera l’écart confondant entre un tribunal qui condamne un homme mûr à la prison et une société moralement culpabilisante qui montre du doigt une mineure pour avoir de douteux appétits d’adulte.

S’il ne fait nul doute qu’Una est une jeune femme traumatisée, on peut toutefois s’interroger quant aux raisons prépondérantes qui ont concouru à ce traumatisme. Était-elle une adolescente ingénue qui a joué avec le feu en ignorant naïvement qu’elle risquait de se brûler ? Et qui était le mieux à même d’éteindre le brasier ? L’attitude de ses parents et amis, les conseils des avocats et psychiatres ainsi que les commentaires du voisinage n’ont-ils pas joué des rôles particulièrement déterminants dans son évolution ? Et enfin, à quoi tient sa plus grande rancune à l’égard de Ray ?

Évitant la carte de la provocation, le film développe volontairement une approche suggestive du désir, incomparable à celle qui fut adoptée dans le psychédélique Diary of a Teenage Girl. Les âmes chastes ne risquent dès lors pas d’être dérangées par une trop grande dose d’érotisme mais seront sans aucun doute happées par une tension dramatique qui ne faiblit jamais.

Enfin, pour paraphraser Baudelaire, cette histoire d’amour était-elle un crime qui nécessitait deux complices ? Le point d’orgue final permettra à chacun de se faire sa propre opinion sur la question.

(Christie Huysmans)

1 David Harrower s’est inspiré de l’histoire de Toby Studebaker et Shevaun Pennington. Cet ancien marine avait fait la rencontre sur Internet en 2003 de cette jeune fille britannique qui prétendait avoir 17 ans alors qu’elle n’en avait que 11. Après une fuite vers Paris où ils ont résidé deux jours à l’hôtel, ceux-ci ont ensuite rejoint Strasbourg où ils y sont restés cinq jours. Arrêté à Francfort, Toby Studebaker sera extradé au Royaume-Uni et condamné à quatre ans et demi de prison au Royaume-Uni. Expulsé aux USA, il sera également condamné à la prison pour une durée de onze ans et quatre mois.