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TRUMAN

Cesc Gay

Ricardo Darín, Javier Cámara, Javier Gutiérrez, Dolores Fonzi, Silvia Abascal.

108 min.
6 juillet 2016
TRUMAN

Julian (Javier Cámara) arrive du Canada pour passer quatre jours à Madrid avec son vieil ami Tomas (Ricardo Darín). Se sachant condamné, celui-ci a décidé de mettre fin à son traitement contre le cancer, et rien ni personne ne sera en mesure d’infléchir sa décision. Le temps est donc venu pour cet acteur sans le sou de jouer la dernière scène du dernier acte de sa vie. Mais si pour lui, mourir signifie affronter droit dans les yeux sa finitude, cela implique aussi de faire ses adieux à ceux qu’il aime et de veiller à ce que Truman, son chien et son plus fidèle compagnon, ne soit pas trop perturbé par son départ et de s’assurer qu’il soit confié entre de bonnes mains.

La mort, sujet somme toute encore très tabou dans notre société occidentale1, est au cœur de ce film espagnol, qui a été primé en 2015 au Festival de San Sebastian et a raflé, en février 2016, pas moins de cinq Goyas, dont celui du meilleur film. Néanmoins, si la fin de vie plane comme une inéluctable certitude, le cinéaste n’en fait pas le seul et unique thème de son histoire et ne l’aborde nullement de manière tragique et pathétique.

Truman est en effet une comédie dramatique qui, nous arrachant sourires et larmes, nous emmène sur des sentiers profondément humains en disséquant avec pudeur, réalisme et sensibilité les liens qui fondent nos rapports aux autres, qu’ils soient d’ordre amical, amoureux, familial ou professionnel. De même, il investigue, par touches anecdotiques, souvent humoristiques, le large éventail des réactions que suscitent la maladie et l’imminence du voyage ultime, tant pour celui qui doit y faire face, que pour les autres, qu’ils soient proches ou éloignés. Détresse, désarroi et non-dits ; gêne, évitement ou fuite comme si ces deux « maux » étaient contagieux ; pragmatisme froid et rationnel ; compassion et bienveillance ; souci de la réconciliation et du pardon ; tristesse et chagrin mais aussi pleine conscience des derniers et d’autant plus précieux moments partagés ensemble… toute la palette des sentiments mêlés que provoquent ces deux réalités est déclinée sans excès et avec une édifiante justesse.

Les réflexions que suscite ce film sur la mort (source première de l’Angoisse selon Heidegger) sont donc légion mais nous renvoient inévitablement à une méditation sur la Vie, sur ce pèlerinage que l’on sait éphémère et qui, s’il est jalonné de joies, de belles rencontres et de réussites, est aussi source de déceptions, de regrets, voire de remords. En un sens, le film illustre à merveille le paradoxe de l’Angoisse et sa surprenante richesse : liée fondamentalement à la finitude humaine, elle nous dépayse, voire nous paralyse, mais elle nous ouvre, voire nous révèle également à ce que nous sommes ainsi qu’à ce que nous faisons sur cette terre. Et, ironie du sort, plus la fin de notre futur approche, plus le passé s’invite dans le présent en nous pressant de questions, voire en nous faisant de reproches : qu’avons-nous été, qu’avons-nous fait, qu’aurions-nous dû faire ?

À sa manière, Cesc Gay nous rappelle ainsi de manière poignante et drôle que la seule certitude que nous ayons dans l’existence est qu’un jour ou l’autre nous quitterons ce monde et que la grande inconnue réside dans le moment où nous passerons de vie à trépas. Comment dès lors, tant qu’il est encore temps, faire le deuil de soi-même, des êtres chers et de ce que l’on a vécu de bien et de mal, et ainsi trouver une forme de paix avant de rencontrer Celle que l’on est toujours contraint d’accueillir ou d’affronter seul ? Truman nous invite à regarder frontalement et sereinement la destination finale que nous avons tous en partage, tout en nous amenant à nous poser pleinement dans le présent et à nous retourner paisiblement mais sincèrement sur le chemin déjà parcouru.
Il ne fait nul doute que la totale réussite de Truman tient aux prestations exceptionnelles de ses deux acteurs principaux aussi touchants qu’attachants. Et si évidemment, on ne peut qu’avoir l’œil vrillé sur le magnifique Ricardo Darín, il importe également de mettre en exergue la difficile et brillante interprétation que fait Javier Cámara de son personnage. Bien que souvent placé en position de retrait voire d’effacement, celui-ci parvient, à travers l’expression de son visage et de son attitude corporelle, dans son regard et dans ses gestes, à asseoir sa présence avec une remarquable prestance. C’est là un rôle de haute-voltige, contrepoids nécessaire au personnage pivot que campe Ricardo Darín, et qui, s’il avait été confié à un acteur moins talentueux, aurait annihilé assurément l’humaine intelligence de tout le scénario.

Comique et bouleversant, Truman nous murmure donc la dernière partition d’un true man, qui pourrait compléter assez judicieusement le célèbre poème « Si » de Rudyard Kipling en gardant à l’esprit que « celui qui ne sait pas mourir ne sait pas non plus vivre »2.

(Christie Huysmans)

1 Lire à ce sujet « Le Livre tibétain de la vie et de la mort » de Sogyal Rinpoché.
2 Citation extraite du film « We are never alone » de Petr Václav.