Drame de guerre
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THE HURT LOCKER

Kathryn Bigelow (USA)

Guy Pearce, Ralph Fiennes, Jeremy Renner, Brian Geraghty, David Morse, Evangeline Lilly...

131 min.
23 septembre 2009
THE HURT LOCKER

En 1968, en pleine guerre du Vietnam, les Beatles chantent « Happiness is a Warm Gun », mêlant symboliquement armes à feu, drogue, dépendances et bonheurs artificiels. En 2009, Kathryn Bigelow ouvre son dernier film sur une citation de Chris Hedges, correspondant de guerre pour le New York Times, qui proclame, de façon bien moins métaphorique, que “The rush of battle is often a potent and lethal addiction, for war is a drug”. Une citation qui établit, explique, construit son scénario (écrit avec Mark Boal, déjà auteur de In the Valley of Elah) et son film, du premier au dernier plan, dans une perspective annonciatrice et fatale à son personnage principal, le Sergent William James (l’impeccable Jeremy Renner), jeune démineur aventureux qui réitère volontairement ses missions en Irak. Elaboré selon un compte-à-rebours écrasant, qui nous rappelle les jours restant avant la prochaine rotation des sections, The Hurt Locker  est en réalité, à l’instar d’autres films sur la drogue, l’alcool ou le jeu, une chronique de la dépendance. Tout est annoncé, dessiné ; la mort fait son travail dès la première séquence et seul celui qui vit avec elle, la regardant dans les yeux tous les jours dans un face-à-face hypnotique et maladif (James collectionnant les détonateurs désamorcés sous son lit), semble pouvoir y échapper - mais uniquement en s’y noyant.

Apparemment éloignée de thématiques et d’une esthétique associée aux femmes réalisatrices, Bigelow choisit de décrire, après Blue Steel , Point Break ou Strange Days , un univers intrinsèquement masculin. Pourtant, elle n’est pas la première ni la seule femme à filmer les corps tannés et burinés de soleil des militaires en treillis sous un soleil écrasant ; Claire Denis dans Beau Travail saisissait, dans un décor sans concession, la chorégraphie guerrière de membres cosmopolites de la légion étrangère. Mais Bigelow choisit en apparence une autre voie : celle du combat effectif, et des hommes plongés au cœur du conflit. Les films se rejoignent malgré tout dans la construction d’une attente permanente (attendre les appels, la mise en place du déminage) et dans la construction des angoisses ; tête brûlée, refusant les ordres et les figures imposés, James se révèle dans toutes ses failles, écrasé par un destin qui le formate et incapable de se passer de l’adrénaline que lui procure ses sorties ‘en costume’ de démineur. Les jours que comptent les hommes pour être relevé de leurs fonctions, il les comptabilise à rebours, comme l’annonce d’un couperet qui le renverrait chez lui, au milieu d’un décor sans fondement, symbolisé par des rangées infinies de boîtes de céréales dans un supermarché américain, et d’une maison familiale aux tuyaux bouchés par les feuilles mortes. Même son fils, figure d’un héritage tant envié par ses collègues, ne pèse finalement rien face à l’addiction qui le ronge et le renvoie sur le terrain.

Confronté à une pléthore de films sur l’engagement militaire en Irak, le film de Bigelow n’est pourtant à nul autre comparable. Choisissant de nous leurrer par un emballage typique de films d’action, la cinéaste joue sur le temps et fait des choix esthétiques soignés. Tout est question de tenir le spectateur en haleine, pourtant la précipitation n’a pas sa place ici ; le film est construit, élaboré, minutieusement détaillé, à l’instar des expéditions de James et de sa patrouille. Répétitions et variations de gestes se déclinent tout au long du film, lui imposant à la fois tension et rythme lancinant. L’attente est omniprésente, comme dans cette séquence incroyable où les hommes sont pétrifiés, couverts de sable et assoiffés, incapables de savoir si l’ennemi est toujours vivant. Le caractère inéluctable de l’entreprise se lit dans la possibilité d’éliminer tout personnage, y compris une de ses ‘guest star’ (Guy Pearce, ou Ralph Fiennes) à tout instant. Car loin de Bigelow l’idée de proposer une narration apaisante ; l’illusion est constante et la frustration grandit, de la première explosion, au corps de l’enfant dans lequel on plonge les mains pour y découvrir la charge tapie dans les viscères, à l’homme de famille suppliant, transformé en bombe humaine et dont on connaît à l’avance, et malgré soi, le destin. C’est cette mise en scène rigoureuse et sans concession qui permet à la réalisatrice d’atteindre, loin des films de guerre ou d’action habituels, émotion et intelligence du récit, témoins d’un regard féminin sur un topos toujours (et peut-être plus que jamais) masculin. (Muriel Andrin, Université Libre de Bruxelles)