Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurTAMBIEN LA LLUVIA (Même la pluie)

Iciar Bollain (Espagne/France/Mexique 2011)

Luis Tosar, Gael Garcia Bernal, Juan Carlos Aduviri

104 min.
6 avril 2011
TAMBIEN LA LLUVIA (Même la pluie)

Faut-il préférer avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ?

Faut-il préférer l’approche "mondialiste" de Luis Tosar à celle plus plus fermée de Gael Garcia Bernal ?

Faut-il préférer un cinéaste qui croit comme François Truffaut que « le cinéma c’est mieux que la vie » ou un producteur qui prend peu à peu conscience que « la vie est plus importante que le cinéma » ?

« Tambien la lluvia » n’est pas qu’un film sur un film en train de se faire. Un film qui retrace et dénonce les exactions physiques, morales et économiques commises à l’encontre des peuples conquis dès que Christophe Colomb a posé les bottes en Amérique Centrale.

Son aspect reconstitution historique, s’il n’est pas à minimiser, n’est pas le seul épicentre du dernier opus de la réalisatrice espagnole Iciar Bollain.

Il n’est que le seuil d’une plongée dans quelque chose de plus vaste, de plus contemporain. De plus universel.

Parce que très vite l’enjeu se déplace sur trois rapports.

Rapport de force entre un producteur et un réalisateur d’abord.

Le premier prenant peu à peu conscience qu’il y a des problèmes existentiels plus essentiels que de terminer un film, alors que le second reste (infantilement ? égoïstement ? lâchement ?) appendu à sa passion de tourner à tout prix.

Rapport tissé de malentendus ensuite entre une équipe de tournage et les habitants d’une petite ville de Bolivie qui se battent pour empêcher que leur accès à l’eau ne soit privatisé.

Rapport difficilement réconciliable enfin entre deux approches du réel, l’une véridique et l’autre fantasmée - ainsi dans cette belle scène où de jeunes figurantes refusent de jeter à la rivière des "bébés" emblématisés par des poupées parce que l’accès à la représentation symbolique ne fait pas partie de leur mode de pensée.

Rien ne semble avoir changé au fil du temps sous les étoiles de l’hémisphère austral : Les Indiens restent tout autant exploités.

Par un Occident intéressé à l’idée de trouver des figurants payés largement en dessous du smic et par un Etat prêt, au nom du libéralisme économique, à faire de l’eau un bien soumis aux lois avides du marché.

Habituée du cinéma de Ken Loach - Iciar Bollain a été actrice dans "Land and freedom" et est l’auteure d’un livre sur le metteur en scène (*) - la réalisatrice a fait appel à son époux, le scénariste Paul Laverty, fidèle collaborateur (près de 10 films ensemble) du cinéaste anglais pour donner à son film une résonance à la fois engagée (**) et humaine.

 

S’il arrive que la mise en scène soit un peu lourde - on aurait aimé moins de pathos dans le traitement de quelques anecdotes secondaires et plus d’argumentaire dans les revirements de certains protagonistes -il reste, et c’est le plus important, l’énergie (qui parfois fait penser à celle de John Borman dans "The emerald forest ") d’un souffle animé de moments empreints d’une poésie fellinienne (***) et équilibrés entre exigences du documentaire et liberté du récit fictionnel.

Sans oublier le plaisir de voir de bons acteurs donner vie à l’un des mots les plus puissants de la langue française - celui de Résistance.

Résistance d’un dominicain du XVe siècle, Bartolomé Las Casas, à la barbarie des colons. Résistance d’un humble citoyen du XXIe siècle à la corruption et à la cupidité de ceux qui gouvernent son pays.

« Tambien… », "Même la pluie" n’a pas suffisamment de gouttes pour effacer, par-delà les époques, la nécessaire révolte contre les injustices.

 

La nécessaire prise de responsabilité de chacun s’il souhaite un Monde qui soit un jour plus égalitaire. (mca)

(*) "Ken Loach, un observator solitario" (1996)

(**) Artiste engagée, Iciar Bollain l’était déjà dans "Te doy mis ojos" qui a remporté en 2004 le Goya du meilleur film pour sa prise de position à l’égard des violences conjugales.

(***) Les croix portées par des hélicoptères rappellent l’image du Christ balladé au-dessus de Rome dans "La dolce vita" - image inspirante puisque déjà "copiée" avec la statue volante de Lénine dans "Good bye Lenin" de Wolfgang Becker.