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SUPRÊMES

Audrey Estrougo

Théo Christine, Sandor Funtek, Félix Lefèbvre, Chloé Lecerf …

112 min.
24 novembre 2021
SUPRÊMES

Après NWA : Straight Outta Compton, biopic sur la création du groupe de rap américain NWA sorti en 2015, nous avons le grand plaisir de découvrir son pendant européen avec Suprêmes, dédié à la naissance et l’ascension du collectif Suprême NTM à la fin des années 80. Et c’est là une vraie petite perle qui en ravira plus d’un, à commencer par les amateurs de rap et de NTM évidemment. Mais nul n’en sortira déçu. C’est tout d’abord le film de cette génération qui a assisté à cette naissance du rap en France, mais c’est aussi le film de celle qui se bat encore maintenant dans le 93 et les autres cités, à la recherche de reconnaissance et d’une vie meilleure.

Présenté (hors compétition) à Cannes, Suprêmes a fait l’effet d’une petite bombe. Audrey Estrogou se voulait de présenter un film sur l’émergence du groupe, mais également de dépeindre cette jeunesse oubliée, celle de ces banlieues qui « craignent » tout en y insufflant un peu d’espoir, l’espoir de pouvoir s’en sortir et de briller, comme NTM ou même elle-même (étant issue de la banlieue parisienne).

Le film est articulé autour des deux personnages centraux du groupe, à savoir Didier – alias Joey Starr (Théo Christine) et Bruno – alias Kool Shen (Sandor Funtek). Didier est un jeune du 93, livré à lui-même. Sa mère l’a abandonné et son père le méprise et ne veut rien savoir de lui. Il dort dans la rue et vole pour subvenir à ses besoins. Bruno quant à lui a également grandi dans la même cité que Didier, travaillant sur les chantiers aux côtés de son père. Tout peut commencer suite à un défi lancé à Didier, celui de monter lui-même sur scène et de rapper. Personnage charismatique et sûr de lui, il ne sait néanmoins pas quoi dire et s’en remet alors à Bruno, avec qui il écrira son premier texte.

Durant le film, nous sommes confrontés à maintes reprises aux tensions entre les deux personnages principaux qui en deviennent par moments même rivaux. Mais ce qui rend le posse (ils se produisent à trente !) si fort et spécial c’est précisément que les deux protagonistes ne peuvent pas exister l’un sans l’autre, leur coexistence est l’essence même du groupe qui ne serait rien sans le pragmatisme et la plume de Bruno ni le charisme et l’effronterie de Didier.

Plus d’une scène de conflit entre Bruno et son père nous ont touché. Ces scènes sont particulièrement intenses et le manque d’amour et de bienveillance dans lequel Didier a dû grandir nous claque au visage. Le jeune acteur Théo qui incarne Didier excelle par son jeu dans ces scènes. Dans son interview pour Vogue [1], il raconte ne pas avoir parlé à son propre père durant le tournage pour coller au plus proche de la réalité, nous rappelant ainsi évidemment la Méthode de l’Actors Studio développée par Lee Strasberg [2]. Théo et Sandor avaient pour leur rôle également appris à rapper en suivant des cours quotidiennement. Et ils sont, l’un comme l’autre, époustouflants. Leur performance crève l’écran, et même les personnes non initiées au rap ne pourront qu’admirer cette prouesse.

Et puis il y a des scènes qu’on ne pourra pas oublier, des scènes qui sont à nos yeux mythiques. Après s’être fait virer de la salle où ils devaient se produire, le groupe s’insurge et rameute des tas de bandes de jeunes révoltés sur une aire. Scène filmée en extérieur en long plan séquence, le groupe chante « C’est clair » [3], et le spectateur savoure.

Nous retenons également les images d’archives de l’allocution de Mitterrand concernant cette jeunesse des cités, déchue et sans perspectives. Par-là, la réalisatrice aspire probablement à attirer l’attention sur le fait qu’en plus de vouloir faire un film sur un groupe en particulier, elle se voulait de faire un film sur un mouvement, un épisode historique, mais aussi sur un fait social, celui de la fracture sociale, toujours et plus que jamais d’actualité.

Mais voilà,

« (….)
Quelle chance, quelle chance
D’habiter la France
Dommage que tant de gens fassent preuve d’incompétence
Dans l’insouciance générale
Les fléaux s’installent - normal
Dans mon quartier la violence devient un acte trop banal
Alors va faire un tour dans les banlieues
Regarde ta jeunesse dans les yeux
Toi qui commande en haut-lieu
Mon appel est sérieux
Non ne prend pas ça comme un jeu
Car les jeunes changent
Voilà ce qui dérange
Plus question de laisser passer en attendant que ça s’arrange
Je ne suis pas un leader
Simplement le haut-parleur
D’une génération révoltée
(….) » [4]

Ce sont là les paroles issues de la chanson « Le Monde de demain ». Datant de 1991, ces paroles sont en réalité le miroir du monde d’hier et d’aujourd’hui, à l’instar du film, qui au-delà du biopic est également le film d’une génération.

(Astrid De Munter)

[1« Qui est Théo Christine, l’acteur qui crève l’écran en JoeyStarr dans “Suprêmes” ? » par Alexandre Marain, 15 novembre 2021, https://www.vogue.fr/vogue-hommes/article/theo-christine-acteur-joeystarr-supremes

[2Cette méthode consiste à combiner le travail sur le rôle, avec un accent mis sur une recherche personnelle afin d’expérimenter ce que vit le rôle et de pouvoir l’interpréter de la manière la plus authentique possible.

[3« C’est clair », Suprême NTM, de l’album Authentik, 1991.

[4Extrait de « Le Monde de demain », Suprême NTM, de l’album Authentik, 1991